UN HOMME INTÈGRE (Mohammad Rasoulof, IRAN, 2017, 117min) :
Certains longs métrages révèlent des particularités qui dépassent le cadre de la fiction. Un Homme intègre rejoint cette exception. Artiste intrépide, le réalisateur Mohammad Rasoulof fait preuve de résistance en filmant des œuvres de fictions. Avant toute chose il faut savoir que cet auteur, privé de passeport est en liberté sous caution, menacé d'aller en prison, privé de liberté de mouvement extérieur à son pays car par son travail d'artiste il est accusé "d'activités contre la sécurité nationale et de propagande contre le régime", des faits passibles de 6 ans de prison et il a déjà été condamné en 2009. Généralement visionné sous le manteau Un Homme intègre a eu les honneurs du Festival de Cannes (récompensé du Prix Un Certain regard), toujours prompt à défendre la liberté de cinéphile et offrir ainsi une magnifique caisse de résonnance à tous les combats afin que ces films frondeurs voient le jour sur grand écran. C'est donc avec une certaine émotion que nous pouvons découvrir à présent et en totale liberté d'expression, ce captivant thriller kafkaïen pointant du doigt en enfonçant le clou des dérives de son pays. Ce courageux pamphlet politique et moral contre la corruption généralisée en Iran, suit le tragique destin de Reza un éleveur de poissons d'eau douce vivant de son élevage à la campagne avec sa famille, loin de Téhéran, jusqu'au jour où il va se retrouver confronté à une compagnie privée désirant s'approprier son terrain. Partant de ce synopsis du combat de David contre Goliath, Mahammad Rasoulof livre une histoire aux rouages oppressant et nous pique à vif dès la séquence d'ouverture écho à un héros récurrent de revenge movie, en l'occurrence là : Charles Bronson dans Mr. Majestyk (1973) de Richard Fleischer. Comme le protagoniste principal par le biais de la remarquable mise en scène pertinente de compositions de plans et de décadrages judicieux, qui nous permet de nous identifier au héros nous voilà dès le début désarmé. L'intrigue se met en place à travers un habile récit complexe implacable où l'étau se resserre de plus en plus sur Reza qui veut à tout prix rester "honnête" malgré les pressions de l'ennemi et les injonctions de sa femme prête à se salir les mains pour trouver une solution décente. Le cinéaste procède à cette tension en utilisant un montage sec, une magistrale mise en image épurée où le hors-champs accentue l'oppression et une narration glaçante sans fioriture avec un goût parcimonieux de l'ellipse de manière pertinente. Le cinéaste offre un western moderne mafieux qui convoque l'immense Andreï Zviaguintsev avec son imposant Leviathan (2014), aussi bien par la beauté formelle de son film, la description terrifiante de la corruption de son pays, l'aspect désenchanté et l'inéluctable questionnement moral de son héros entre religion et pouvoirs de l'argent. Une œuvre réaliste qui démontre la rage au ventre comment tout un système corrompu peut broyer même les hommes les plus incorruptibles dont l'épatante interprétation tout en intensités retenues de Reza Akhlaghirad donne une force romanesque admirable jusqu'à la déchirante dernière séquence. Venez soutenir le personnage de Reza à travers le cinéma persévérant de Rasoulof, tous deux méritent votre soutien au réquisitoire d'Un homme intègre. Un grand film. Puissant. Sombre. Intègre. Poignant.