Commençons par évacuer le premier présupposé : Hong Sang-Soo serait le Rohmer coréen. Rohmer a un oeil et une culture picturale qu'HSS n'a pas, il l'exprime brillamment dans des tableaux vivants, dont "L'anglaise et le duc" est en un sens l'aboutissement. HSS, lui, excelle dans la direction d'acteurs qu'il met dans des conditions idéales (plans séquences qui donnent le temps de s'exprimer, de passer par toutes les émotions, alcool pour dérider...). Les deux partagent sans doute une forme de légèreté affectée, un goût pour le flirt et le verbe, passons.


HSS on le sait a une manière bien à lui de travailler. Tournage en un temps record (parfois moins d'une semaine) d'où son côté prolifique, des dialogues écrits souvent le matin même comme le rapportait Isabelle Huppert sur le tournage de "In another country", et beaucoup à boire, genre beaucoup beaucoup. Son style même de narration est sa grande force, sa grande singularité : cet art de brouiller délicieusement les cartes, de rejouer une partition sur d'infimes variations comme un musicien du quotidien, les rêves et l'absurde qui s'invitent souvent pour contrarier l'amour.


Dans "Right now, Wrong then" on retrouve une des marques préférées du cinéaste : la réécriture. Le film prend ses aises, une heure durant, pour nous présenter ses deux personnages centraux - et quelques autres. Voilà une histoire d'amour douce-amère comme HSS sait les écrire. Entre gêne, dialogues détonnants, aveux maladroits, sincérité touchante. Les héros d'HSS sont tous ou presque des réalisateurs de films (un moyen d'introduire un jeu de miroir supplémentaire) mais ils sont avant tout des anti-héros, prêts à tout pour se faire aimer/remarquer. Les jeunes femmes, elles, sont belles et plus ou moins conscientes du désir qu'elles suscitent. Après une heure, le film prend fin, avant de reprendre comme si de rien n'était : les habitués sont en terrain connu, nous ne sommes que dans une nouvelle version de la première partie, une version alternative du premier film. Ici comme avant, HSS rejoue la même scène originelle, recommence le même film. Mais ces films eux-mêmes rejouent tous à peu de choses prêt le précédent d'où un effet de vertige proche des poupées russes.


Pourquoi alors préférer "Haewon et les hommes" et "Woman on the Beach" à "In another country" ou à ce "Right now, wrong then" ? Les différences sont infimes, me direz-vous, si bien qu'on en vient parfois à confondre certains de ses films. Faux ! À bien y regarder le procédé est pour ainsi dire opposé. HSS tourne autour d'une scène qu'il décide de réécrire, de retravailler, soit. Mais dans le cas des derniers films cités, il fait rejouer les scènes dans des alternatives à l'insu de ses personnages. Ses acteurs se démènent et donnent le sentiment de vivre pour la première la scène que nous venons de voir. Parfois une ligne de dialogue change, comme un clin d'oeil entre HSS et le spectateur. Le personnage, lui est exclu de cette complicité. Dans le cas des premiers films cités, ceux qui méritent selon moi d'y revenir, il y a une unité temporelle, le personnage vit avec nous une expérience qui, parfois l'amène dans des situations similaires, il reproduit des choses vécues, mais il a cette fois la mémoire de ces scènes. La vie devient alors doucement ironique. Le personnage a le pouvoir et le choix d'influer, de décider, et c'est le drame du professeur dans "Haewon et les hommes" qui se souvient. Ce seul élément (le temps, la conscience du temps, donc la conscience de soi) introduit une profondeur et une amertume d'une richesse sans égale dans ces jeux de poupées sans conséquences.


HSS joue dans ses films, mais pas toujours avec les même règles. Donner les mêmes cartes au personnage et au spectateur est selon moi la clé pour permettre à son cinéma de ne pas rester en surface. Pour autant, règle ou pas, son œuvre se compose film après film comme un tout, et l'ensemble vu de loin est déjà vertigineux.

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le 8 nov. 2015

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