On ne pourra pas dire qu’on n’a pas été prévenus : avec un tel titre et un tel pitch, il y avait peu de chance de sortir surpris de la projection du dernier Woody Allen.
Mais celui dont la projection annuelle est devenue une tradition réjouira tout de même du seul fait de sa présence, alors que sa carrière traverse des heures bien sombres qui le voient blacklisté de son pays, bloquant la diffusion de son œuvre, et dans lequel aucun éditeur ne s’engage pour le moment à publier ses imminentes Mémoires.
Cette dernière livraison semble d’ailleurs une sorte de regard nostalgique, une compilation de l’univers du cinéaste : un retour à la ville emblématique de ses débuts, un acteur alter égo qui (après bien d’autres) joue le rôle qu’il ne peut plus décemment tenir, cette fascination / pseudo-répulsion pour l’argent et les familles de la haute lui donnant l’occasion d’investir les lieux les plus chics, le marivaudage et un humour fondé sur la petite trouvaille insolite ou la vanne sortie d’un sketch.
Le pilotage automatique n’est pas loin, d’autant que le récit, construit à la faveur de rencontres successives déroulées sur deux pistes parallèles, fonctionne par à-coups et peine à convaincre dans son arc. Les portraits satiriques s’enchainent (de l’ancien fâcheux du lycée, ultra caricatural, à la galerie de vanités du milieux arty du cinéma pour une mise en abyme assez édulcorée) et les situations, très vaudevillesques, amusent certes, mais sans réellement proposer autre chose que la facilité dilettante avec laquelle on peut les écrire. Dans le même esprit, les éléments de comédie (le rire comme motif de rupture, le hoquet, le cache-cache dans le musée..) semblent exhumés d’une boite à idée et mis bout à bout sans réel souci de l’ensemble.
La petite saveur émergente viendra de la moquerie qui n’épargne pas le couple principal, et surtout le personnage joué par Elle Fanning, apprentie journaliste de la haute, à la fois godiche et intellectuelle, naïve et ambitieuse. L’occasion pour la jeune comédienne de roder son jeu, comme tant d’autres chez le cinéaste, et de colorer sa palette d’un jeu plus malicieux et hétéroclite, entre adolescence, pose et bêtise pétillante. Un régal, bien entendu, surtout face au trio de prédateurs assez inoffensifs que seront le cinéaste, le scénariste et le comédien star.
L’esthétique très travaillée de la photo accentue cette impression de carte postale, et le sentiment durable que Woody Allen filme régulièrement pour embellir un environnement qui confond fantasmes (belles filles, luxe, musées) et souvenirs (peu d’indices contemporains dans son film, à l’image de ces conversations par téléphone d’où l’on exclut toute possibilité d’échange par SMS, au profit d’une intrigue fondée sur la distance et les malentendus).
Le personnage de Chalamet, qui offre une suite luxueuse à sa petite amie, lui explique qu’il vient de gagner vingt mille dollars au poker, avec une facilité déconcertante. Et d’expliquer qu’on peut tout faire avec cet argent : « that’s not even real money ». Une citation incidente, mais qui résume parfaitement l’état d’esprit de ce film, petite escapade supplémentaire qui satisfera les aficionados en mal de leur dose annuelle du cinéaste, mais se perdra rapidement dans la mémoire de sa filmographie pléthorique.
(5.5/10)