Deux ingrédients imparables expliquent la réussite éclatante d’Un jour sans fin : son comédien, bien entendu, et son pitch aussi improbable que parfait.
Comédie romantique dont la résolution sera presque aussi morale qu’un film de Capra, le film peut décevoir dans son retour sur des rails d’un dénouement un peu trop traditionnel ; car le début du récit, consacré à la méchanceté désabusée, trait unique et savoureux de Bill Murray, est proprement jubilatoire. Méprisant les bouseux, l’enthousiasme généralisé et tout ce qui peut relever de la joie, son personnage ne séduit personne, et par conséquent, conquiert le spectateur.
Le concept dans lequel on l’enferme est ensuite la mécanique scénaristique parfaite. Passée l’angoisse de la prison temporelle qui exacerbe les clichés déjà pénibles des conversations phatiques, le personnage accède à une forme d’omniscience qui est, bien entendu, celle de l’écrivain aux commandes de son intrigue. Connaitre la journée et ceux qui la peuple permet à Phil de prédire l’avenir, et de devenir l’escroc parfait. Les répétitions de séquences, de plus en plus courtes, établissent une connivence croissante avec le spectateur qui, rodé à la mécanique, va comprendre un montage de plus en plus elliptique d’une journée à l’autre, jusqu’à des répétitions (les gifles et les échecs) et variations (l’entrainement, au piano comme à la l’établissement d’une conversation parfaitement en adéquation avec la femme à séduire).
L’intelligence de l’exploitation de cette anormalité réside aussi dans sa part anxiogène : c’est la mort inéluctable du SDF, la logique proche de celle de Sisyphe, qui chaque soir voit s’effacer toute son action, et la réflexion sur son identité. Devenir Dieu, ou ne plus réellement exister du fait de cette inhumaine omniscience. Phil le dira d’ailleurs lui-même :
“I killed myself so many times I don't even exist anymore.”
L’émancipation passe donc par un renoncement à l’égoïsme, puisque tous les pouvoirs de Phil proviennent d’un mensonge et de la manipulation des autres, pour enfin se consacrer à eux. Cette morale certes bien chrétienne qui voit l’homme de la ville s’attacher à chaque individu de ce trou paumé, permet tout de même d’approfondir les réflexions sur l’écriture : le film quitte ainsi la simple comédie romantique entre la délicieuse Andy Mc Dowell et Murray pour établir une galerie fugace de portraits qui convergent vers un chant collectif qui fleure bon la comédie de l’âge d’or.
Cynisme et altruisme, mensonge et amour sincère, saillies drolatiques et inventivité du montage : en mêlant avec habileté tous ces éléments contradictoires, Harold Ramis écrit la journée parfaite, dans laquelle on s’enferme toujours avec le même plaisir.
(7.5/10)