Eh oui, c’est comme ça qu’ça s’passe dans ce film tchécoslovaque réalisé par Vojtěch Jasný et sorti en 1963 ; la faute à un directeur d’école intransigeant, chasseur et taxidermiste dont le but est de constituer une collection d’animaux empaillés à destination pédagogique…
Mais voilà bien ce qui l’oppose au maitre d’école, très naïf et assez nonchalant, qui ne veut enseigner qu’à partir du vivant ! Partisan d'un savoir figé d'un côté contre défenseur d'une culture éveillée de l'autre.
Dans une atmosphère légère, un enjeu à la fois esthétique et politique se met ainsi en place dès le début du film.
La date de sortie est importante : 1963, c’est le moment où la république socialiste tchécoslovaque « s’adoucit » (elle condamne officiellement le culte de la personnalité de Staline pour faire court) bien que le parti communiste continue de contrôler de manière quasi absolue le pays.
Sur fond politique (celui d’un communisme rigolo où tout le monde joue à s’appeler « camarade ») se développe une sorte de métaphore du cinéma : cette cigogne que l’on empaille au cours d’un rituel dansant complètement loufoque, c’est « comme du vrai » et les personnages tentent d’ailleurs de reproduire son vol malgré son aspect statufié, le volatile empaillé étant cloué sur un socle… (drôle de scène qui vaut le détour !)
Réalité et capacité du cinéma à restituer le réel... une question esthétique classique !
Mais celle-ci est ici traitée avec malice (le vieux conteur Oliva, tout comme le chat, est un observateur malicieux) : le film ne manque pas de gentiment railler le régime communiste à travers le personnage du directeur pour lequel « il n’y a qu’une seule vérité » et qui se méfie donc des méthodes d’enseignement du professeur (le seul dans l'école du village apparemment). Néanmoins, malgré son air cabotin qui plaît aux femmes (c’est un coquin) et sa rudesse, ce directeur se transforme rapidement en personnage comique.
Au centre de la narration trône un mystérieux chat, sphinx mystique à qui on a refilé une paire de lunettes pour contenir son pouvoir (un peu comme Cyclope des X-men si vous voulez…).
Ce dernier a, en effet, le pouvoir de colorer les gens, révélant par là leur nature profonde.
Cette colorimétrie de l’âme s’effectue selon un code couleur bien précis.
Ainsi, les menteurs deviennent violets, les infidèles (les amants infidèles, pas les hérétiques ni les opposants au Parti hein !) jaunes, les voleurs gris et les amoureux, rouges…
Le concept est sympathique sans être original ; c’est un peu comme si l’on pouvait voir nos pensées défiler au-dessus de nos têtes sur un petit écran HD, imaginez l’enfer que ce serait socialement parlant !
(Remarquez qu'un phénomène équivalent est observable aujourd'hui sur les réseaux sociaux, mes contemporains se croyant assez intéressants pour "partager" leurs vies anecdotiques et leurs vaines pensées. La différence ne réside que dans le fait que ceux-ci s'adonnent de plein gré à cette pratique...)
Les gens deviennent d’ailleurs vite intenables, redoutant par-dessus tout les yeux félins de la vérité…
Mais devant le tribunal des enfants, tous finissent par reconnaître leurs torts (la paresse, l’envie…) et par dévoiler la teinte véritable de leur âme.
Nul besoin de chat mutant puisque les enfants possèdent une sorte d’innocence et de connivence avec la vérité donc… J’ai moins apprécié ce discours un peu niais.
Même si certaines scènes (les multiples danses frénétiques et pigmentées, étonnement longues) virent au n’importe quoi, la présence d’un chat cool, d’un projet esthétique et d’une petite dose d’humour permet à ce film de remporter le prix du jury à Cannes et le rend plus qu'agréable à regarder.
En outre, le film présente un cinéma magique : bruitages, lumières, apparitions en tout genre… La séquence centrale du spectacle de magie rappelle inévitablement le cinéma des premiers temps, le cinéma forain, celui de Méliès et compagnie.
Le cinéma devient alors l’illusion qui dévoile, le « truc » qui révèle quelque chose de la réalité.
Et pour reprendre les mots prononcés par le magicien venu d’autres temps (l’alter ego d’Oliva) :
« Un peu de beauté, un peu de sortilège »
N’est-ce pas la formule qui explique pourquoi le cinéma sait si bien nous séduire…