L'écriture de Beckett parvient toujours à retranscrire l'inéluctable mouvement vers le pire...
ce qu'a de pis
le coeur connu
la tête pu
de pis se dire
fais-les
ressusciter
le pis revient
en pire
En notant que c'est cette satanée tête qui, toujours, en assure la continuité...
Espérer alors, espérer atteindre les « mondes innommés » parce que « là la tête on la tait la tête est muette », là la tête on la tue…
Cette tête dépassant de la glace contre laquelle Dante trébuche dans le chant XXXII de l'Enfer :
l’abri dernier
pris dans le dehors
tel Bocca dans la glace
Jusqu’à entendre la tendre musique de l’indifférence, celle qui permettrait de ne plus s’entendre se taire…
elles viennent
autres et pareilles
avec chacune c’est autre et c’est pareil
avec chacune l’absence d’amour est autre
avec chacune l’absence d’amour est pareille
Beckett, c’est toujours « l’absence au service de la présence », le vide qui comble, le comble du vide, le plaisir de la perte… Un monde pas forcément réjouissant où « les absents sont morts [et] les présents puent », où que l’on « bouffe brûle fornique », on « crève toujours seul comme devant »…
Ce monde qui nous contraint dès la naissance à un état de veille parfois difficilement supportable :
chaque jour envie
d’être un jour en vie
non certes sans regret
un jour d’être né
On est sur terre et c’est sans remède !
(Cioran reprendra l'idée avec De l'inconvénient d'être né)
et là être là encore là […]
à ne pas fuir et fuir et être là
Alors, que reste-t-il ?
Il reste l’humour comme réponse, affronter le pire « jusqu’à ce qu’il fasse rire »…
La promesse de l'amour.
Le langage balbutiant qui réconforte.
Jouer toujours avec l’adverbe, le plus souvent temporel.
Mais aussi la quantité : le plus, le moins, le trop, le rien…
Le silence gonflé de tout ce que l’on a trop dit et confronté à la promesse de ne se taire plus.
écoute-les
s’ajouter
les mots
aux mots
sans mot
les pas
aux pas
un à
un
Toujours ce chemin vers le pire, ce chemin vers la fin, vers le vide… Chaque instant versant « dans l’oubli d’avoir été ».
Tout tend vers cette célèbre phrase de Fin de partie : « Fini, c'est fini, ça va finir, ça va peut être finir. (Un temps) Les grains s'ajoutent aux grains, un à un, et un jour, soudain, c'est un tas, un petit tas, l'impossible tas. »
Et en prime, on trouve dans ces mirlitonnades une version d’ « Imagine » bien meilleure que celle de Lennon !
imagine si ceci
un jour ceci
un beau jour
imagine
si un jour
un beau jour ceci
cessait
imagine
En bref, la vie nous fuit, nous poursuit et finira le jour de son commencement…
Car, enfin « la fin est dans le commencement et cependant on continue. ».
Tout est dit, rien n’est dit.