En France, dans ce pays intenable où il y a autant de récalcitrants au pouvoir que de baguettes vendues, si le citoyen est un gaucho alors pourquoi pas le critique ? Un peu de franchouillardise dans cette gourmandise littéraire à l’heure où la rentrée s’enflamme via l’essai d’un journaliste d’investigation (Valentin Gendrot) qui publie FLIC,Data Gueule une vidéo sur les violences policières : ensauvagement politique ! Darmanin vient d’annoncer de nouvelles armes pour les joueurs de flashball ainsi que le floutage des visages policiers sur les vidéos présentes sur Internet. Dans cette veine entaillée, messieurs et mesdames, tapez sur votre clavier avec la même vigueur que ceux qui arrachent les pavés !
À défaut de citer l’immuable et l’incontournable Weber, celui qui met le feu à n’importe quelle chair animale et qui est présent dans tous les jardins provinciaux de la France profonde, David Dufresne préfère partir d’une définition du sociologue Max Weber pour interroger des intervenants qui regardent des images du plus grand barbecue géant, celui des manifestations des Gilets Jaunes.
« l’État revendique le monopole de la violence physique légitime »
MAX WEBER – LE SAVANT ET LE POLITIQUE
Si le film Gilet Jaune version Ruffin (J’veux du soleil) a une couleur urine, Dufresne propose un véritable film à débat passionné. Fin observateur de la société française dans laquelle il revient après une parenthèse de sept ans chez nos voisins Québécois, Dufresne, en plus de constater que s’accroissent la colère et le mécontentement devant les injustices sociales et que de nombreuses manifestations citoyennes sont l’objet d’une répression de plus en plus brutale, l’écrivain-réalisateur qui réalise ici son film pour lequel il en « a le moins fait », arrive à inviter des citoyens à approfondir, interroger et confronter leurs points de vue sur l’ordre social et la légitimité de l’usage de la violence par l’État.
Allumer la flamme en mettant de l’essence sur le feu -si les jerricans des Gilets jaunes sont encore pleins, est une pratique sensiblement facile. En rassemblant et en agglomérant des images violentes issues de smartphones lors des manifestations, un nouveau cinéma de vérité qui a surgi des réseaux sociaux, le réalisateur fait un festin, un barbecue géant de chair et de sang avec des outils dignes de ceux de Héphaïstos. Dans ce galette-saucisse cinématographique où le citoyen n’est plus que chair, la violence, malgré le déni des brutalités policières par l’Etat, fait du visionnage de ce documentaire une expérience éprouvante, tant par la violence des scènes que par certains mouvements brusques et intempestifs des caméra-téléphones portables.
Là où Dufresne sort un morceau de choix sur son barbecue Weber, c’est quand il déploie son dispositif : mettre face-à-face des intervenants qui réagissent aux images qui défilent sous leurs yeux. Tartine de fromage de chèvre fondu sur la braise, l’unique caméra illustre une économie de moyen qui permet aussi et surtout à chaque intervenant de donner le meilleur de soi. Les noms et les professions sont dévoilés au générique final ce qui permet au spectateur d’être concerné en tentant de positionner lui-même chaque intervenant sur l’échiquier politique. L’écoute qui est au cœur du dispositif invite ainsi le spectateur à porter attention à chacune des paroles énoncées avant même que ce dernier ne plaque ses opinions pré-conçues sur la parole de l’intervenant dont il ignore la fonction ou le positionnement idéologique. Si le choix des intervenants est certes déséquilibré, le dévoilement d’idées et d’opinions contraires a au moins le mérite d’exister. Pas d’artifice, pas de Salt bae qui saupoudre des paillettes sur sa viande, pas de musique, seulement une phase de zapping TV ridiculisant tous les journalistes présents à l’écran à la manière de l’excellent Les Nouveaux chiens de garde.
Si faire un film revient à choisir une viande d’agneau plutôt qu’une entrecôte de bœuf, alors on n’en voudra pas au réalisateur de ne pas aborder l’angle-mort de son documentaire qu’est le racisme. Autre point qui aurait mérité une autre attention, il aurait été très intéressant de sonder un philosophe afin d’interroger la notion même de légitimité. Enfin, dans un tel cas de figure, le débat aurait duré jusqu’à pas d’heure et nos neurones seraient cramés.
Dans ce pays de Bleus, de Blancs, de Noirs, de Rouges, il y’a Les Misérables, Les Parasites, Les Portraits de la jeune fille en feu, et s’ils n’obtiennent pas tous les César, ils sont tous appréciés à Cannes. 2019 année des grandes fictions ! 2020 année du documentaire ? Comment résister ? Tourner le dos et devenir Autonomes ? Un modèle à la Honeyland ? Se révolter et terminer en prison avec Des Hommes ou s’investir en politique et retourner sa Cravate ? Personnellement, partant du principe initial qu’il y a, en chaque être humain, l’illégitimité à subir/recevoir la violence, traitez moi d’andouille si vous le souhaitez, l’humour est ma seule solution face à la sommation.
En plus d’être d’une utilité salvatrice, d’une acuité visuelle pertinente et d’une intelligence digne de son réalisateur et des auteurs invoqués, Un Pays qui se tient sage est un film qui n’a pas nécessité des aides du CNC (Centre National du Cinéma) mais qui peut compter sur la mobilisation des associations, des acteurs, des exploitants et des spectateurs pour que les débats bourgeonnent à l’aune de cette saison automnale. Un impératif !
10 septembre 2020 : séance spéciale en présence du réalisateur David Dufresne à Angoulême dans le cadre des rencontres de l’ACOR
Critique illustrée à retrouver sur mon site : https://lestylodetoto.wordpress.com/2020/09/12/un-pays-qui-se-tient-sage-barbecue-weber/