UN PAYS QUI SE TIENT SAGE (David Dufresne, FRA, 2020, 86min) :


Documentaire événement, Un pays qui se tient sage propose de multiples arrêts sur images, pour provoquer une réflexion collective sur la notion de «violence légitime», par le biais des affrontements hexagonaux récents.


«Croire aux vertus du dialogue, même si c'est de plus en plus difficile» cesse de répéter le réalisateur David Dufresne lors de divers entretiens. À travers ce percutant documentaire le journaliste (Libération, Mediapart) et écrivain (notamment son livre enquête Tarnac, magasin général en 2012 et le roman politique Dernière sommation en 2019) met brillamment en exergue cette conviction profonde comme colonne vertébrale narrative tout au long de son premier long métrage.


Depuis le début des nombreuses manifestations des «gilets jaunes», de décembre 2018 jusqu'à février 2020, le metteur en scène citoyen se fait témoin par le biais du réseau social Twitter des nombreuses exactions policières sous le libellé «allo@Place-Beauveau» de manière à interpeller l'État et le silence médiatique. C'est donc tout naturellement que la lutte d'images entre l'afflux de vidéos non censurées provenant de nombreux smartphones de manifestants légitimement en colère des injustices sociales, face aux reportages encadrés des chaînes d'informations montrant la répression policière sans remises en cause, donnent l'idée à David Dufresne de transformer cette bataille des images en discussions de récits contradictoires.


Pour entamer la confrontation d'idées, le réalisateur s'appuie d'emblée sur la maxime de Max Weber : «L'État revendique pour son propre compte le monopole de la violence physique légitime.» extraite de son livre Le Savant et le Politique (juillet 1919), afin d'énoncer l'axe de réflexion et faire réagir les différents intervenants. Le metteur en scène propose un intéressant contre-récit de l'actualité du direct des plateaux de télévisions en recontextualisant des scènes particulièrement impactantes d'échauffourées entre les forces de l'ordre et les manifestants et notamment les diverses mutilations insupportables (mais et yeux arrachés) engendrées par cette répression policière, à travers un pertinent dispositif où des personnes de corps sociaux différents (souvent en binôme), doivent réagir face à ces séquences montrées cette fois-ci sur un écran de cinéma, et surtout dans leurs formats initiaux, sans remontages ou floutages d'images. De quoi engager le débat entre les multiples participants (sociologue, historien, policier, mère au foyer, syndicaliste, avocat, chauffeur routier, journaliste, rapporteur des Nations-Unies...), qui ne sont jamais nommés pendant leurs témoignages, pour offrir ainsi à tous une égalité dans la perception de leurs voix, par rapport à notre subjectivité de spectateurs. Grâce à cet équilibre de paroles, le réalisateur (malgré son engagement partisan), évite un manichéisme trop manifeste et questionne justement les uns et les autres de manière assez équilibrée, sur les notions de «violence légitime» des deux camps dans un état de droits, de police républicaine, interroge aussi sur la réponse politique, répressive et mensongère du président Emmanuel Macron, et rappelle également la spécificité française avec nationalisation de la police instaurée en 1942 sous le régime de Vichy. Face à face, alors que les images brutales défilent dans leur dos, les orateurs secoués de revoir ce flot d'images violentes tentent avec éloquence et sincérité de nouer un véritable dialogue intellectuel, pour éviter le chaos futur qui pourrait se profiler sans solutions démocratiques proportionnées. Ces confrontations didactiques offrent de précieuses discussions d'utilité publique et permettent de mettre les débats essentiels sur la table loin des lieux d'affrontements.


Cette salutaire radiographique implacable des rouages de la violence interpelle sur l'impunité des puissants de la République, ouvre sur une convaincante réflexion miroir des maux de notre société qui doit déboucher à l'avenir sur une réponse politique, démocratique et citoyenne. Avec ce percutant Un pays qui se tient sage le réalisateur vient de jeter pacifiquement la première pierre, en espérant que ce pavé puisse trouver une plage, gardienne de la paix sociale. Saisissant. Engagé. Passionnant. Nécessaire.

seb2046
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le 1 oct. 2020

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