J'avais la sensation diffuse que Un si Joli Village... d'Etienne Périer sorti en 1979 n'était pas un film français très connu. En revanche, je dois dire que je ne m'attendais pas en arrivant sur sa fiche SensCritique à voir que l’existence de ce film était à ce point confidentiel, anonyme et même proche de l'oubli (Une seule critique et 58 notations). C'est d'autant plus regrettable que Un Si Joli Village... est un sacrément bon film avec d'excellents acteurs et des enjeux intemporelles que j'oserai même qualifier d'une folle modernité. Ce film ne pouvait donc pas rester avec une seule critique pour en faire l'éloge.
Un Si Joli Village... nous raconte l'histoire d'un petit juge d'instruction qui débarque dans un village afin d'enquêter sur la mystérieuse disparition de la femme d'un notable local nommé Stéphane Bertin (Victor Lanoux). Assez vite le juge Noblet (Jean Carmet) va se retrouver à devoir faire face à l'extraordinaire pression exercé par cet homme qui règne tel un nabab sur tout un village dont il prédestine à la destinée du fait de son pouvoir de patron de l'unique usine du coin et donc de garant de toute l'économie locale. Un grand jeu entre morale et politique, intérêts financiers et justice commence alors à se mettre en place.
Pour donner une petite idée de ce que représente Un Si Joli Village..., adaptation d'un roman de Jean Laborde inspiré d'un fait divers réel, je dirais que le film réunit et concentre un peu du meilleur d'Yves Boisset et de Claude Chabrol. On retrouve en effet dans le film d'Etienne Périer cette description acerbe des travers et de la médiocrité des petits notables de provinces si chère au réalisateur du film Le Boucher et une charge politique et sociale virulente proche de ce que pouvait proposer le réalisateur de Dupont Lajoie dans les années 70. Même si le film possède une dimension de film noir et de thriller ce n'est visiblement pas ce qui motive le plus Etienne Perrier et son scénariste André G Brunelin (le formidable La Traque) puisque la culpabilité du personnage principal est révélée dès les premières minutes du film qui montre Stéphane Bertin nettoyer une scène de crime avant que quelques personnes ne s’inquiètent de la disparition de sa femme. La force et le cœur de ce Si Joli Village … va être de montrer la confrontation entre un puissant homme de pouvoirs et un modeste homme de justice. Car si le personnage de Stéphane Bertin n'est pas le maire du village il en est incontestablement le patriarche plus moins bienveillant, patron de la tannerie locale qui emploie la plupart des hommes du village, conseiller municipale que l'on écoute plus que le maire, l'homme possède le véritable pouvoir celui de l'argent et de l'économie. Ainsi lorsqu'il se retrouve mis en cause et en questionnements par ce juge d'instruction sa première réaction sera de menacer de fermer son entreprise, de mettre tout le monde au chômage et plonger ainsi l'économie locale dans le marasme le plus complet. Dans ce petit jeu d'un homme de pouvoir qui tient tout un village par les bourses, ce patron parvient d'un coup à transformer presque toute la commune en un magma de sympathisants qui voient bien moins le besoin de justice que la préservations de leurs petits et maigres intérêts financiers. Face à lui et face à tout un village plus hostile que dans un western qui voit débouler un étranger, ce petit juge va donc devoir lutter contre toutes les pressions sociales, économiques, politiques et même religieuses afin d'essayer de simplement rendre justice. Et c'est dans toute cette mécanique de lutte entre économie et justice, entre pouvoir et moralité que le film d'Etienne Périer se révèle être passionnant, bien plus en tout cas que si l'on regarde le film comme un simple polar provincial à la France 3. Et sans vouloir transformer cette critique en trac militant, ces questions de la puissance du pouvoir de la finance sur la société, la politique et la justice reste toujours et peut être plus encore aujourd'hui d'actualité.
Un Si Joli Village... c'est donc l'affrontement de deux hommes avec d'un côté ce patron sûr de lui et grande gueule soutenu par tous (ou presque) et de l'autre ce petit juge d'instruction discret, solitaire et déterminé. Il fallait donc deux grands acteurs pour rendre cette opposition savoureuse ce qui est parfaitement le cas ici. Dans le rôle du juge Noblet on retrouve un formidable Jean Carmet dans un rôle de composition puisqu'il incarne un homme qui préfère l'eau plate au pinard et une tranche de jambon blanc à un plat en sauce. Le comédien incarne ici un homme discret, effacé, un peu nonchalant mais déterminé et qui l'air de rien scrute avec acuité et pertinence le microcosme de ce village sous domination d'un seul homme. Toujours calme, tranquille et posé il n'empêche que ces saillis verbales et ses analyses font toujours mouche et pousse lentement le suspect dans ses retranchements. En face de lui on retrouve un Victor Lanoux impériale en nabab à l'arrogante suffisance qui semble considérer que tout lui appartient et qu'il a de ce fait droit de vie et de mort sur tout ce qui l'entoure y compris l'économie locale. Un homme profondément manipulateur et égocentrique pour qui les femmes ne sont que des trophées de plus à conquérir, à posséder et mettre au pas de sa vie en perpétuelle représentation. Les face à face entre les deux comédiens sont absolument jouissif et formidablement riche en symbole comme lorsque ce patron offre du feu à ce petit juge d'instruction et que pour se faire il utilise un briquet attaché à sa ceinture contraignant la justice à se courber et se plier face à lui dans une position de révérence dont il jubile. On retiendra également l'incroyable scène d'intimidation durant laquelle Victor Lanoux traque fusil en main un Jean Carmet en ballade en forêt. Et puis le troisième personnage central du film est la douce institutrice du village enceinte de Stéphane Bertin dont elle est amoureuse et incarnée par Valérie Mairesse. Une jeune femme un peu naïve mais qui refusera de devenir un objet de plus à la collection de cet homme capable de se révéler aussi violent que sinistrement possessif. Quant au reste du casting on y retrouve Gerard Jugnot en petit patron médiocre de troquet, Bernard Pierre Donnadieu en garagiste ou Michel Robin. Le film est aussi riches de tous ses seconds rôles si précieux du cinéma français de cette époque avec Jacques Chailleux (Vu dans Les Valseuses et dans le rôle du fils de Carmet dans Dupont Lajoie), Jacques Richard (L'attentat – Les Égouts du Paradis) ou Alain Doutey (La Carapate – Croque La Vie).Une formidable galerie de personnages étalant à l'écran les petites médiocrités et les quelques sursauts idéalistes d'une communauté entièrement soumise aux pouvoirs financiers d'un seul homme et prêt à le soutenir jusque dans l'ignominie.
Un Si Joli Village … est vraiment un très bon film à réhabiliter et redécouvrir. Avec un aspect thriller plus tendu, prenant et percutant on était même pas très loin du petit chef d'œuvre.