La caméra reste immobile, scrutant la maison d’enfance de Hsiao-Hsien, alors que ses parents vont mourir et que celui-ci passera des billes aux cigarettes. Terrible envie de se laisser submerger par le film, mais ce n’est pas son but. Il a quelque chose de contraint, d’impassible. Sa manière consiste à imposer des blocs de temps (fétiche du plan-séquence fixe) où des silhouettes, simples figures familiales, vaquent à leurs occupations, chuchotent leurs remords, pleurent les morts. Il faudrait juste habiter le film, au sens où l’on serait locataire du plan. Sa longueur et ses cadres placides nous figent dans une contemplation, même fugace, à partager avec les personnages. Enserrés dans leur présent sans pour autant en ressentir la vivacité ou l’enjeu (Hsiao-Hsien coupe les amorces narratives des scènes), nous sommes bien les locataires, juste à leur côté mais poussés au détachement. Dans le "maintenant" pur, il n’y a pas de dramatisation. Il faut donc se loger dans le plan, en embuscade, attendant une épiphanie qui se refuse. Le regard embrasse la scène, le cadre superbement composé, et cherche une issue narrative. Sans doute un réflexe mal placé. La tension n’appartient pas à ce monde filmique.
Ainsi les plans se succèdent, posés devant nous comme les bouts de papier que la grand-mère découpe sans relâche. Maison familiale aux panneaux doublant les cadres, arrière-cour trempée où fument des casseroles, douces frondaisons des rues l’été, petite place rurale calme et intemporelle : quand bien même on voudrait de tout cœur habiter ces lieux, rien ne nous appelle. Cette terrible envie d’aimer le cinéma de Hou Hsiao-Hsien. Goûtant parfois la langueur de ses plans, mais butant fatalement sur la paroi qu’il dresse autour de son édifice, absolutisme un peu vain pour notre regard sans doute trop simple et fébrile.