Du premier visionnage d’Un Tramway Nommé Désir, il y a une vingtaine ans, demeure encore la marque mentale du choc, du coup porté par le talent brut et brutal de Brando : à la fois animal, sauvage, rustre et sensuel, dégoulinant de sueur et de testostérone, il est celui qui frappe puis qui embrasse, celui qui punit avant de pardonner, celui qu’on craint et qu’on adore – sorte de Dieu domestique qui fait régner sa loi interne et que l’on vénère secrètement.

Bien des années après, l’Adoration est toujours présente : Brando bête de scène, dégageant une aura qui suinte par tous les pores, maître d’une force redoutable qui jaillit de son corps sculpté, détenteur du verbe premier, primaire et primitif et donc le plus universel, homme pour l’estime et l’amour de qui la Femme, attendant dans son ombre, est prête à endurer la brutalité, la souffrance et l’humiliation – bref, essence intemporelle de la masculinité, paradigme de l’Homme depuis l’homo erectus d’hier jusqu’à l’homosexuel d’aujourd’hui.

Cependant Un tramway nommé Désir ne se résume pas à Brando. Certes son jeu se marie parfaitement aux conflits qui structurent l’œuvre et la maintiennent toujours tendue et intense ; néanmoins la présence de sa belle-sœur Blanche vient atténuer cette tempête intérieure et violente faites de bruit et de fureur. En effet, non seulement en raison de son caractère diamétralement opposé à celui de son beau-frère (femme lettrée qui regarde de haut ce rustre ouvrier, elle se sert non pas de son corps mais du verbe pour se défendre) mais surtout en raison de l’importance encore plus grande concédée à son personnage, à ses déboires, à ses hésitations amoureuses, à ses errances mentales, le film prend une tournure plus psychologique en même temps que son rythme ralentit, s'embourbant dans la névrose de Blanche.

Kazan, adaptant parfaitement la pièce de théâtre de Tennessee Williams, gardant ses conflits et ses dialogues littéraires, signe son premier vrai succès au cinéma. Outre la direction d’acteurs made in Actors Studio, basée sur la Méthode de Stanislavski, et qui a fait école, le metteur en scène signe un travail remarquable sur la lumière et les clairs-obscurs dans les intérieurs étouffants où tout menace constamment d’exploser.


Marlon_B
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le 31 oct. 2022

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