Au visionnage de leur nouvelle livraison, cette fois sur Netflix, on se dit que le précédent opus des frères Safdie, Good Times, était un travail préparatoire à ce Uncut Gems : même parcours nocturne et urbain, même accumulation des catastrophes, même recherche d’une tension et d’une énergie qui surgirait de la catastrophe.


Adam Sandler remplace Pattinson, en personnage crapuleux mais plus âgé, installé et embourgeoisé dans le milieux très fermé des diamantaires de New York. L’occasion pour l’acteur de quitter son registre de prédilection, pour celui d’un fanfaron obnubilé par le profit, et incapable de s’asseoir sur une victoire, dans une surenchère vertigineuse qui ne peut que le conduire à la banqueroute.


Uncut Gems mêle la modestie de son intrigue à l’ambition de son traitement : le scénario n’a rien de transcendant, le film est un peu long, et les poncifs s’invitent un peu trop à la danse, particulièrement en ce qui concerne le rôle du père démissionnaire, fustigé par sa fille, son épouse, voire sa maîtresse pour sa fuite permanente. On avait très tôt compris qu’Howard est un trou du cul (au sens propre du terme, puisque c’est son colon qui le présente, à la faveur d’un plan séquence d’un goût douteux raccordant l’opale de toutes les convoitises à sa coloscopie), et son rapport à ses débiteurs ou ses clients en disait suffisamment pour saisir la façon dont il carbure, à savoir en essorant son entourage tout en y laissant des plumes. Toutes ces sous-intrigues, comme celle avec The Weeknd en guest émergente de 2012, sont assez pesantes, et les délires un peu psychédéliques de certaines séquences ajoutent à ce sentiment de maladresse que les aficionados qualifieront probablement de volontaire, eu égard au titre qui évoque les pierres brutes et non taillées.


Alors qu’on est sur le point de laisser l’antipathie pour le personnage se retourner contre toute l’œuvre, la tension du récit parvient progressivement à le sauver. L’accumulation presque comique des avanies, qui lorgne clairement du côté de l’After Hours de Scorsese, permet aux enjeux de se relancer constamment, et explore avec finesse cette addiction au risque dans laquelle s’enferme le protagoniste, toujours engagé sur plusieurs intermédiaires, et contraint de composer avec des sommes qu’il n’a pas, mais ne pouvant s’empêcher aux trop nombreux coups d’avance qu’il anticipe. Cette urgence fiévreuse gagne de plus en plus le rythme même de la narration, et Sandler, vraiment excellent, accroît cette posture qui se voudrait toujours en représentation devant des clients ou des débiteurs, alors que la panique qui l’étreint lui procure exactement le shoot d’adrénaline qu’il recherche. L’insistance avec laquelle on évoque le folklore juif semble aussi là en contrepoint, comme une tradition familiale sédentaire qui ne pèse pas grand-chose par rapport à cette foi viscérale qu’a Howard dans le jeu. La très belle idée de mise en scène sur le sas d’entrée dans la bijouterie, qui reviendra à deux reprises, parachève dans l’espace ce qui se construisait déjà dans le temps, à savoir un bloc compact de tension qui centralise tous les enjeux et concrétise cette électrisante fuite en avant.


L’objectif est donc atteint, après s’être même autorisé des détours lyriques qui procèdent de la même idée : associée à l’urgence et au jeu, la maîtresse devient une véritable partenaire et autorise une incursion sincère de l’amour, tandis que le récit se déséquilibre brutalement : d’un côté, hélicoptère, limousine, suite d’hôtel et temples du jeu, de l’autre, un espace réduit à un écran de télévision sur l’autre terrain de jeu qui redynamise encore l’action, à savoir un match de basket.


Qu’importe la sortie de cette voie sans issue, et qu’importe, peut-être, les lourdeurs de certaines péripéties : dans cette quête où le butin importe bien moins que la circulation qu’il autorise, l’euphorie du parcours semble conditionné à la destination.

Sergent_Pepper
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le 3 févr. 2020

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