Un trailer mystérieux suffit à enflammer les attentes d’une Croisette qui avait dû renoncer à tant de têtes d’affiches annoncées par les rumeurs. Under the Silver Lake était alléchant, et, de fait, la proie idéale pour la déception généralisée.
Force est de constater que le troisième film de David Robert Mitchell, après le modeste The Myth of the American Sleepover, et le prometteur It Follows, ne ménage pas ses techniques de séduction : une image colorée et solaire dans un Los Angeles baroque, qui rappelle l’imagerie contrastée des films de Tarantino ou la photo nocturne de ceux de Richard Kelly (dont on désespère d’avoir des nouvelles, par ailleurs), un personnage de loser qui baise avec la même conviction qu’il fume et, en dépit de son gabarit de moineau, frappe animaux, enfants ou défonce des crânes à coups de guitare de Cobain, des filles et des fêtes, un bestiaire humain et animal bigarré sous l’égide d’une folie à peine jugulée. On lorgne du côté du Big Lebowski à plusieurs reprises, même si l’auteur a la sagesse de ne pas tenter de rivaliser avec cet inimitable modèle.
Under the Silver Lake propose, dans ce décor où même les nuits semblent ensoleillées, une intrigue noire aux détours devenus eux-mêmes des clichés : fille disparue, collusion avec les sphères les plus riches et par conséquent les plus opaques, enquête en forme de perdition au gré de paliers de plus en plus éloignés de la rationalité. Le grand mérite du film réside dans sa proposition topographique et son exploration de la ville interlope : des cryptes aux piscines sur les toits en passant par les tunnels et les réservoirs, L.A. est définitivement LA ville du septième art, une sorte de fête foraine, un théâtre d’illusions, une attraction foraine à ciel ouvert dans laquelle on aurait ôté toutes les barrières de sécurité.
En résulte un parcours onirique et décalé, résolument pop, dans lequel les références (comics, musique, cinéma) s’accumulent jusqu’à une forme de nausée suffisamment épaisse pour sauver le film de la simple blague formaliste. Dans cet univers où tout le monde veut devenir comédien, et où le cinéaste lui-même montre dans un Drive-in des extraits de son premier film (qui, justement, s’attachait à démystifier, dès son titre, un cliché du rite de passage américain), le contact avec le réel devient trouble, et annonce une réflexion plus profonde qu’elle n’y parait.
Car l’ambition d’Under the Silver Lake est ambivalente : par la façon dont il va puiser dans un certain nombre de lieux communs et de citations (la tombe d’Hitchcock, la ville schizophrène de Mulholland Drive, le baroque insolite de Magnolia, l’humour branque d’Inherent Vice…) , il peut sembler prétentieux ; mais les coups de griffes portés à ses fondations par sa tonalité désaxée lui permettent de s’offrir une véritable personnalité, attachante parce que lucidement maladroite.
La volonté affirmée de jouer avec une star pour la malmener et la perdre n’est que le premier signe d’un parcours visant à décaper le verni du celluloïd. La dynamique est double : l’enquête met au jour, littéralement, des recoins obscurs de la ville, certes colorés et fantasques, mais entraîne avec elle un certain nombre de personnages vers un lieu concret, une antichambre qui serait à même de répondre à leurs angoisses fondamentales. En dépit de ses aiguillages multiples, le récit a donc une véritable destination, et celle-ci, bien loin d’offrir les lueurs traditionnellement salvatrices du dénouement, vient noircir les délires baroques d’une mélancolie morbide aussi étonnante que bienvenue.
Under the Silver Lake est ébouriffant, maladroit, échevelé. Son ambition est enthousiasmante. Il lui reste une épreuve de taille : s’inscrire dans la durée pour confirmer qu’on aurait ici l’élan premier d’un film voué à devenir culte. Quoi qu’il en soit, il installe son réalisateur dans le cercle des cinéastes à suivre avec impatience.
(7.5/10)