La chair est triste, hélas, et j’ai tenté de vivre

L’argument est éculé : la belle alien humanoïde, planturoïde attire les mâles en rut pour un coït s’inspirant de celui de la mante religieuse.
La mission est élémentaire tant les terriens sont rudimentaires : on ramasse, on chauffe, on consomme. Sans programme annoncé, à l’aide de complices motards qui tranchent les grands espaces en cavaliers discrets de l’apocalypse, la toile se tisse avec une assurance glaciale.
Notre belle étrangère pose ainsi, au fil des moissons, son regard indifférent sur la Terre. Persane au milieu des humains, elle scrute la foule, apprend, et livre de cette espèce un tableau sans fard, tristement médiocre.
L’effroi lui-même semble anesthésié, rendus confus par des séquences graphiques expérimentales qui semblent toujours receler un sens qui ne sera jamais totalement explicité. L’introduction renvoie en effet à la conjonction astrale de 2001, tandis que le trip central évoque à demi-mot le passage de la chair par une centrifugeuse immatérielle. L’esthétique générale du film est entièrement conditionnée par l’étranger et son regard : longs plans fixes, dilatant le temps au-delà du raisonnable, pour une contemplation dénuée de toute forme de sacré. Un regard naturaliste, voire d’entomologiste sur les petits êtres grouillants que nous sommes, candidats inconscients au sacrifice.
Mais alors qu’on nous rive au point de vue de l’envahisseur, de brusques saillies d’humanité nous font basculer vers nos semblables, si misérables soient-ils : ce sont des érections létales, ou les hurlements d’un bébé sur une plage de galets envahie par la marée montante. C’est aussi une vision cauchemardesque sur un autel de sacrifice liquide et opaque, sensitif et fascinant.
Progressivement, la foule se dissémine et la quête change de nom : la demoiselle, consciente de son attrait, va s’interroger sur la nature de son corps, tandis que le réalisateur insistera sur la nature du monde sur lequel elle œuvre : la nature s’étend, les plans s’élargissent et magnifient une Ecosse sauvage et froide d’humidité. Forêts, mers, brumes envahissent l’écran et nuisent à la mission de l’envahisseuse s’initiant à l’émotion humaine.
Face aux divers miroirs qui émaillent son parcours, celle-ci questionne l’enveloppe qu’on lui a assignée. La nudité, la chair, l’incarnation au sens le plus strict du terme.
Scarlett Johansson était la voix post-humaine dans Her. Elle est ici le corps infra humain, cette masse carnée qu’on observe avec distance, et qui ne fascine que les humains. La nudité tant évoquée autour du film subit le même traitement plastique que les autres sujets contemplés.
[Spoils]
Le tournant du film voyant la femme abandonner sa mission laisse supposer le retour sur les rails de la convenance. Face au puceau difforme, face à l’homme dénué d’intentions priapiques, elle s’ouvre et semble s’humaniser.
La crainte pointe alors de voir les audaces initiales s’étioler en faveur d’un discours rebattu sur les vertus de l’amour humain. Tout s’inverse donc, et celle qui entrainait se laisse prendre la main. Le twist interrompant son imminent rapport sexuel avec un humain est l’une des excellentes idées d’un scénario sans concessions, dont les renversements s’amplifient au point de faire passer la prédatrice au statut de victime, et révéler l’hostilité du genre humain. La nature, toujours plus large, absorbe les êtres qui veulent s’y terrer, mais ne pourront le faire qu’au prix d’une dissolution réelle : celle de la chair dévoilée, dénudée avant l’holocauste salvatrice.

Fascinant, audacieux, Under the skin questionne avec froideur notre humanité et notre chair, sur laquelle se cristallise pourtant toute notre mythologie du désir.
(8,5/10)
Sergent_Pepper
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Sergent_Pepper

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