"C'est une eau peu profonde", dit un personnage de Claudel à propos d'un autre personnage, qui manifestement lui semble idiot. J'aurais voulu trouver une formule aussi mordante pour donner mon avis sur ce film, mais je ne fais que l'emprunter. L'histoire de Laura, l'héroïne d'Under the skin, le film de science-fiction réalisé par Jonathan Glazer, est assez plaisante au premier abord. Une extraterrestre qui se glisse dans une peau humaine, et se rend sur Terre dans le but de séduire des inconnus qu'elle assassine ensuite. Ses victimes serviront de déguisements macabres aux extraterrestres malveillants. Oui mais voilà, un être humain a le pouvoir d'appréhender le monde par ses organes sensoriels, tout ce qui l'entoure est un prétexte à la sensation et c'est précisément cela que Laura convoite. Que ressent-on en avalant une bouchée d'un gâteau crémeux de plusieurs étages ? Du plaisir. Que ressent-on en faisant l'amour ? Du plaisir. Laura n'est qu'une apparence humaine, bien seule et bien creuse, et voilà le grain de sable qui va perturber le protocole de séduction/assassinat que l'extraterrestre est supposée suivre à la lettre.

Les premières secondes du film m'ont, pour ainsi dire, mise sous hypnose. Cet écran noir au milieu duquel jaillit une lumière blafarde dont la caméra se rapproche à pas de velours. Et les balbutiements de Scarlett Johansson qui s'essaie au langage, une des armes de séduction. Et puis je me suis demandée si mon hypnose venait de la torpeur dans laquelle j'étais plongée ou des images qui dansaient devant mes yeux... Enfin, je me suis ennuyée ferme.
Under the skin est un film hyper-esthétisé et présente un réel intérêt. Mais cela n'en fait pas un film intéressant pour autant. La musique de Mica Levi est littéralement planante, et surtout le thème musical associé à Scarlet Johansson dans ses pérégrinations en Écosse. Sur le plan sonore, donc, c'est une réussite. Un film de matières aussi, la matière liquide et sombre dans laquelle se noient les proies de Laura, la matière du corps humain dans laquelle l'on se glisse sans difficulté. Un film de couleurs, le filtre rouge au travers duquel Scarlett évolue et s'examine sous toutes les coutures, le noir du liquide que je viens d'évoquer, le fond blanc surexposé au début du film faisant ressembler Laura et une autre femme à des ombres chinoises. Un film d'ombres et de lumières enfin : la lumière aveuglante des premières images, l'obscurité des pièces où les hommes réduits à des êtres en proie au désir suivent aveuglément la vénéneuse Scarlett qui marche à reculons dans des scènes qui font inévitablement penser à de la danse contemporaine. On y retrouve aussi les quatre éléments, l'eau à travers la mer qui gronde et engloutit une famille, l'air du vent qui siffle aux oreilles de Laura et lui fait éprouver sa solitude dans des lieux inhospitaliers, la terre de la forêt qui est filmée comme une espèce de temple, et le feu, celui qui cause la mort de Laura, transformée en torche vivante au beau milieu d'un paysage enneigé... Under the skin traite de la solitude et du silence, des envies que l'on tait, des choses que l'on ne peut pas dire parce que l'autre ne saurait les comprendre. Toutes les victimes de Laura sont des hommes un peu louches, des êtres désœuvrés, transis de froid en pleine nuit, et c'est encore plus vrai pour l'Elephant Man à qui Scarlett fait connaître un rêve éveillé.

Cependant, le film très construit avec une première partie où l'on suit l'extraterrestre à travers l'Ecosse, dans sa grosse camionnette, à la recherche de chair fraîche, et une seconde où Laura poursuit une chimère, parce qu'elle s'imagine pouvoir ressentir le monde à la manière des humains, obéit à un schéma assez classique sous la forme d'une opposition extraterrestre/humain. Le premier voulant devenir le second alors qu'il est censé n'en faire qu'une bouchée. Par ailleurs, c'est un film bourré de références (à Kubrick - 2001 l'odyssée de l'espace et ses longs plans du début à Lynch - Elephant Man...). Glazer livre un film de science-fiction assez pauvre, prévisible. Il n'y a pas de référent réel, outre ces gens filmés dans les rues, d'une façon assez touchante. Un film silencieux parce que dénué de dialogues. Les personnages doivent échanger en tout et pour tout vingt mots sur 1h45. Et cela rend le film considérablement pesant. Non pas que le malaise ou l'incompréhension me déplaisent, mais je buvais les bribes de paroles que s'échangeaient les personnages quand enfin cela m'était possible. Finalement, le personnage de Laura n'a pas de réelle épaisseur psychologique, bien qu'il soit très bien interprété par Johansson dont on ne peut qu'admirer le jeu dépouillé, d'un minimalisme déconcertant. Passée la surprise première, le film devient convenu et l'hypnose se transforme en ennui, un ennui qui donne même la migraine. Les violons stridents de Mica Levi agacent, les plans ultra travaillés de Glazer n'épatent plus... Voilà, la mangeuse d'hommes se fait dévorer par un homme, oui on s'en doutait. Des tentatives esthétiques, un film expérimental mais pour expérimenter quoi ? De l'esthétisme pour nous montrer tout ce qui relève de la perception, tout ce à quoi Laura aspire, prisonnière de son corps qui n'est qu'une coquille sans vie. J'étais confrontée à un film dont je ne savais que dire tant il me laissait de marbre. C'est proche de l'art contemporain, de la danse, d'une musique métallique, c'est le corps de Johansson érigé en œuvre d'art précisément, mais je n'ai pas ce que cela pouvait signifier, le symbolisme de ces jeux plastiques m'a échappé. En somme, c'est un propos qui manque à Under the skin réduit à une succession de prouesses esthétiques qui n'ont pas grand chose d'émouvant.

J'étais venue voir un film de science-fiction au synopsis alléchant et j'ai vu un pur exercice de style laborieux.
Marthe_S
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le 1 juil. 2014

Modifiée

le 1 juil. 2014

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Marthe_S

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