Bird people incite à la déprise. Loin de livrer un propos critique sur le monde contemporain, l'omniprésence des écrans, sa frénésie exténuante, son agressivité à travers la publicité par exemple, Pascale Ferran raconte une histoire d'une douceur déconcertante.

Le film est construit comme un diptyque avec d'abord le récit de Gary (Josh Charles) puis celui d'Audrey (Anaïs Demoustier), et dans cette fable interviennent aussi quelques personnages secondaires comme le réceptionniste Simon (Roschdy Zem) ou encore Leïla, une femme de chambre (Camélia Jordana). C'est l'histoire d'une libération, celle d'un homme d'affaires qui voyage sans arrêt, constamment sollicité par son Blackberry, le regard vitreux lorsqu'il erre dans les couloirs des hôtels ou dans les halls d'aéroport. Et puis il y a Audrey, jeune femme un peu effacée, qui travaille comme femme de chambre dans l'hôtel Hilton de l'aéroport Charles de Gaulle. Le soir, elle prend le RER B et un bus pour rejoindre son petit studio d'où elle se plaît à regarder les gens d'en face, et à imaginer leurs vies. Enfin, il y a des rencontres dans un ascenseur et des tragédies singulières que l'on ne soupçonne pas. C'est tout cela que Bird People raconte, tout cela et surtout la manière dont on s'émancipe de cette vie faite de nécessités.
Pascale Ferran déconcerte totalement le spectateur, l'obligeant à faire l'expérience du détachement. Les scènes sont longues (notamment lorsque Gary skype avec son épouse), la caméra s'attarde dans des gros-plans sur des objets anodins (des documents, des fleurs fânées, des savons de chambre d'hôtel). Tout à coup, il ne sert plus à rien de se précipiter et on adopte presque naturellement une position contemplative. Le détachement vient aussi du fait qu'il n'y a pas à proprement parler d'intrigue ou du moins celle-ci est mince, à peine esquissée : que va faire Gary après avoir envoyé tout valser ? Comment se réalise concrètement la libération d'Audrey ? D'autre part, Ferran filme des non-lieux, des couloirs, des halls déserts en pleine nuit, l'aéroport, un toit, un taxi. Nos repères sont ceux d'un monde uniformisé et impersonnel. Plusieurs fils rouges dans cette fable d'un autre temps : le moineau, avatar d'Audrey, un spectateur privilégié des vies qu'il entrevoit à travers l'étroite fente de la fenêtre des chambres du Hilton, l'ambiguité dans la langue française autour du mot personne (à la fois nobody et anyone), et le vol (des oiseaux, des avions, peu importe... On a jamais été autant frappé d'ailleurs de la ressemblance entre un avion et un oiseau, ou du moins on l'oublie souvent).
Des pièges que tisse le cours des choses, on ne peut sortir que par un acte grandiose et radical. A cet égard, la scène de l'oiseau se cognant contre les murs d'une chambre dont il veut sortir, est saisissante. Gary abandonne travail, femme et enfants après une nuit laborieuse. Audrey se jette d'un toit... Il y a ceux qui partiront peut-être plus tard comme Simon menant une double vie, ou Leïla dont la mélancolie transparaît sur son visage. Ferran ne définit pas rigoureusement en quoi consiste la libération, ce film n'est pas une ode à la liberté dans un sens normatif. On se libère comme on veut et comme on peut, en passant des coups de fil ou en planant la nuit au-dessus d'un aéroport, avec Bowie en fond sonore. Il faut dire que cette scène est magistrale. C'est parce qu'on a l'impression que les personnages ont été choisis au hasard, parmi tout ceux que l'on voit dans la première scène, fréquentant le RER B, que l'on peut rêvasser à loisir sur notre propre libération. L'aspect aérien du film provient également de son casting. Josh Charles parle peu, d'une voix douce et effectue les mêmes gestes méthodiquement, comme si sa décision était prise depuis le début. Anaïs Demoustier est d'une fraîcheur déroutante avec ses deux yeux comme des "boutons de bottines noires" selon la réalisatrice, aussi bien lorsqu'elle imagine la vie des clients de l'hôtel que quand elle baragouine un anglais approximatif. On entend toujours un sourire dans sa voix. Toute la partie avec le moineau effraie au premier abord... Pascale Ferran semble perdre le fil et tomber dans la niaiserie. Mais ce n'est pas du tout le cas, le film est tenu du début jusqu'à la fin. Le moineau n'est qu'une métaphore, si douce qu'elle nous emporte plus loin dans l'ailleurs. La scène avec l'aquarelliste est de toute beauté...

Pas de propos véhément donc, ni de récit corrosif. Même une affiche publicitaire vaguement ridicule devient un prétexte au songe : "Et si on vous offrait un monde d'opportunités ?". La splendeur du film c'est de nous montrer des possibles, d'ouvrir un champ dans lequel il nous reste à définir quelle forme prendra la liberté.
Marthe_S
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le 13 juin 2014

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Marthe_S

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