Au commencement, l'informe. Au commencement, les ténèbres. Puis vient la lumière. Halo vibrant, étincelant, irradiant. Puis vient la voix. Féminine. Balbutiante, hésitante, tatônnante. Incantation, gestation précaire de morphèmes babillants. Les phonèmes se muent en mots, le halo en œil. L'œil d'une femme qui vient de naître, d'éclore dans l'espace de l'écran, espace d'un blanc infini, aveuglant. Nue, elle dépouille le corps inerte d'une inconnue de ses vêtements pour s'en habiller, comme d'une seconde peau de tissu. Vision fascinante, érotisme troublant, quasi clinique, d'une mue inversée, paradoxale.

Dès son ouverture en forme de génèse, Under the skin nous propose l'exploration épidermique, viscérale et hypnotique du contact des corps, du point de vue d'une étrange créature extraterrestre, incarnée par une Scarlett Johansson stupéfiante de détachement. Auscultation de la violence des rapports entre les corps, à travers une intrigue de chasse où la créature traque des hommes solitaires pour les attirer dans les eaux noires, insondables, de son terrifiant repaire. Engloutis par ce décor liquide de cauchemar tranquille, les corps masculins finissent par imploser, vidés de toute leur substance. Vision d'horreur de leur peau, amas d'épiderme creux, rabougri, trophée macabre improbable flottant dans le néant.

Lancée dans une quête obsédée de la nature humaine, cherchant in fine à s'humaniser au contact des terriens, la créature semble vouer un véritable culte au pouvoir érotique de la peau, fascinée à la fois par celle des hommes et par son propre épiderme. Longs plans tétanisants où elle scrute sa nudité dans des miroirs, dans toutes sortes de surfaces réfléchissantes, comme tentant d'élucider par la contemplation le mystère du corps, de l'image du corps. Attraction morbide et poétique de la caméra et, par corollaire, de notre œil de spectateur, pour le corps mis à nu de Scarlett Johansson. De la pulsion scopique, irrépressible, à la quête identitaire, il n'y a qu'un pas, que le cinéaste n'hésite jamais à franchir, dans un brillant élan expérimental, jusqu'à une séquence finale hallucinante et poignante, touchant au merveilleux au-delà du sordide et à la pure métaphysique, qui illustre de façon littérale le titre même du film.

Expérience sensorielle quasiment dépourvue de dialogues, laissant s'exprimer la toute puissance graphique et symbolique de l'image, Under the skin se donne à voir comme une quête initiatique, une fable visuelle, un conte étrange, envoûtant et terrible sur la nature humaine. Une leçon de cinéma viscérale, rigoureusement rugueuse, magnifiquement malsaine, qui laisse l'œil sidéré et l'esprit hanté par un océan déchaîné d'interrogations.
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le 8 févr. 2015

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