Vies minuscules
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John côtoie au quotidien la vie qui s'est éteinte et ses cicatrices : la solitude, l'isolement, l'idée que l'on a compté pour personne. Il est chargé au sein d'un obscur bureau de retrouver la famille, même lointaine, ou des amis du défunt pour assister à leurs funérailles. Mais il ne fait pas trop recette : les premières minutes du film d'Uberto Pasolini le mettent en scène entre les bancs, recueilli, seul, devant le cercueil de plusieurs parfaits inconnus. Mais pas tant que cela. A chaque dossier bouclé, John ajoute la photo du décédé dans un grand album. Comme une famille putative.
Car John ne côtoie personne. Il vit à travers son travail. On voit qu'il s'y investit et y met tout son coeur. Pour qu'au moins quelqu'un pense à ces personnes et honore leur mémoire. Son job lui tend un miroir de son futur, quand il ne sera que des os, comme ses clients. Ce vers quoi sa vie anonyme l'entraîne. Cette vie qu'il traverse comme une ombre. Timoré, toujours l'air emprunté et mal à l'aise. Comme ces types que vous croisez dans la rue et dont vous ne gardez aucun souvenir, qui ont peur de déranger et s'excusent tout le temps pour tout et n'importe quoi. Sa vie n'est que rituels et habitudes, mêmes plans grisonnants et même place dans le cadre, sur la même chaise de son petit appartement, devant la table de sa cuisine, avec, dans son assiette, un menu identique à celui de la veille et à celui du lendemain. Toujours pareil, jusque dans sa tenue vestimentaire. Aucune surprise, aucune envie, aucune passion.
Quand il apprend son licenciement, John voit sa vie littéralement s'arrêter et il devient peu à peu un fantôme. Le dernier dossier qu'il a à boucler, avant de faire ses cartons, sera un prétexte pour le suivre dans son enquête, essayant de savoir qui pouvait bien tenir, ne serait-ce qu'un peu, à cet homme dont personne ne se préoccupait. Eddie Marsan est de tous les plans et son interprétation fait que l'on s'attache à son personnage lunaire et désabusé. Si la galerie des proches que John aborde tour à tour permet à Pasolini de brosser des portraits de personnages sensibles, elle ouvre avant tout le héros sur le monde qui l'entoure et le sort de sa torpeur, jusqu'à une rencontre qui autorise le spectateur à penser qu'il pourra vivre - enfin - pleinement sa vie.
Une Belle Fin développe une atmosphère hautement mélancolique et contemplative au service d'un propos délicat et quasi philosophique qui invite à réfléchir sur la trace que l'on laisse derrière soi, quand on se retire sur la pointe des pieds. Film sensible sur nos contemporaines solitudes hémorragiques, il en devient doux amer dans ses ultimes minutes,
jusqu'à se jouer du caractère parfois totalement absurde et tragique de la vie pour, dans un ultime recueillement, rendre un hommage touchant à un homme qui avait pour but d'honorer la mémoire de ces gens qui auront laissé, pour tout souvenir, qu'une photo jaunie dans un album.
PS : Un grand merci à ma petite Cerys. Pas celle de Groupama, l'autre. Elle est bien plus sympa et a très bon goût...
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Créée
le 27 avr. 2015
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