Quand Hollywood décide de se regarder dans une glace, c'est en général assez dépressif, avec des réflexions misanthropes sur la solitude des êtres, la superficialité, la vanité du glamour, etc... Il faut être très sombre, comme l'a réussi Wilder dans son magnifique "Boulevard du crépuscule" (ou plus tard Nicholas Ray dans "Le violent), soit être William Wellman pour tirer son épingle du jeu.
Je n'avais pas aimé le film de Cukor à cause de ce côté introspectif, très typique des années 1950 et de leur vogue pour la psychanalyse, pour cette raison (et aussi car je ne suis pas fan de Judy Garland).
Au niveau scénario, les deux films sont très proches, avec des rebondissements assez similaires. Mais Wellman n'en rajoute pas dans le glamour et reste toujours assez proche de la réalité. Avec, il faut le dire, un gros avantage : Wellman filme la Californie des années 1930. Celle d'avant le smog. Celle où même à Hollywood, on pouvait voir nettement les collines et l'Océan pacifique. Même les classiques plans de nuit montrant la ville depuis Mulholland Drive révèlent une agglomération encore à taille relativement humaine.
Malgré cela, on partage l'émerveillement d'Esther devant les rues, véritables décors de théâtre, toutes pimpantes, puis l'on retombe dans la dure réalité avec le garnis dans lequel elle végète quelques mois. Même la lune de miel en caravane garde quelque chose d'un peu suranné. Mais l'analyse de la fabrique des stars est déjà là, et elle est d'ailleurs plus acerbe que le film de Cukor : panneaux rappelant aux candidats de casting qu'ils ont une chance sur 10 000 d'être pris ; agent cynique tout occupé à remodeler la success story pour la vendre au public....
Pourtant, ce film n'est pas geignard, du genre "nous, les pauvres célébrités". Il veut plutôt mettre le public face à lui-même : ce même public qui adulait Norman Maine le voue aux gémonies et met à sa place Vicky Lester. Les mêmes fans qui commentent la mort de Maine en disant à sa veuve "He wasn't that much". Ce que cherche à faire Wellman, ce n'est pas à faire partager au public la vie des stars et raconter leurs misères. C'est bien à coller une belle giffle au public.
La direction d'acteurs est fort efficace, et Janet Gaynor (pourquoi n'arrive-je jamais à retenir son nom ?) est parfaite pour le rôle. Rien d'étonnant à ce qu'elle ait obtenu l'Oscar.
On retrouve dans ce film la même veine que dans "La joyeuse suicidée" : une satire sociale acerbe. Mais si le film avec Carole Lombard était une comédie légère, ici Wellman joue sur la tragédie. On se doute que quelque chose de tragique se noue, et Dieu merci, la musique énervante de Max Steiner n'arrive pas à saboter cette intensité.
Il y a aussi cette magnifique idée de commencer le film en projetant une page de script, puis en montrant l'image mise en scène, idée reprise à la toute fin, qui crée un effet de distanciation que l'on retrouve à plusieurs moments du film en voyant des comédiens jouer les barmaid des acteurs, les petites mains, etc...
Au niveau formel, la mise en scène est efficace, avec toujours ce sens du cadrage. Il y a d'ailleurs une progression esthétique au cours du film. Le début fait très kammerspiel, on pense au muet. Au fur et à mesure, on se rapproche des codes du parlant. Bon, la couleur est assez moche, c'est du Technicolor, dont on ne retiendra que le coucher de soleil de la fin.
"A star is born", 1937, c'est l'original. Moins glamour, plus poignant, plus réaliste que le film de Cukor. J'achète.