Parmi les genres cinématographiques, la comédie musicale est celle qui embrasse avec le plus d’évidence la dimension spectaculaire et divertissante de cet art : probablement parce qu’elle est la transposition directe des shows sur scène, et que le passage à l’écran lui permet une expansion de ses moyens, que ce soit en diversité de décors, nombre de figurants ou variété des prises de vues.
Il découle de ce rapport explicite à la facticité du divertissement une influence directe sur le récit : dans cette débauche de danse, de musique et de couleurs, le véritable sujet n’est rien d’autre que le spectacle lui-même, et la manière dont des individus y consacrent avec acharnement leur existence. On le voit dans Tous en scène ou Chantons sous la pluie, mais aussi New York New York, Moulin Rouge, Phantom of the Paradise ou plus récemment La La Land : la meilleure façon de mettre en valeur l’âme de tout cet artifice, c’est d’en faire le récit.
Une étoile est née est l’un des premiers films à prendre ce parti : la version de Cukor, qui sera reprise en 1976 par Frank Pierson avec Barbra Streisand et en 2018 par Bradley Cooper avec Lady Gaga, est en réalité déjà un remake de Wellman en 1937. La question y est toujours la même : celle de l’ascension d’une vedette (au cinéma, ou dans la chanson) coïncidant avec la chute du pygmalion qui l’a portée au sommet.
L’idée est tout ce qu’il y a de plus maligne : accroître la fascination pour le monde du spectacle en lui donnant l’illusion qu’il accède à ses coulisses. On commencera par mettre en valeur la férocité de la compétition, et à quel point ceux qu’on voit sur l’écran sont les élus parmi une foule de prétendants. Le spectateur pourra ainsi admirer. On poursuivra par une charge légèrement satirique sur la violence du milieu, où il faut savoir prendre des coups, devenir une poupée malléable à merci, au risque de se dissoudre dans les rouages de la grande machine. Le spectateur pourra ainsi entrer en empathie. On terminera par un savant mélange entre mélo et bouquet final, dans une morale qui héroïse définitivement ceux qui tiennent sous la lumière des projecteurs, parce que The show must go on. Le spectateur pourra ainsi abdiquer : non seulement, ils ont du talent, mais en plus, ce sont des personnes fragiles comme nous. Les héros sont nés.
Une étoile est née est entièrement rivé aux performances de Judy Garland, dont on sait par ailleurs à quel point sa carrière fut un calvaire. Sa voix, ses numéros, ne viennent pas se mêler au récit comme on peut le voir chez Minelli ou Donen : ce sont des shows en salle, qui dévient parfois vers les fameux grands morceaux de bravoure ou la caméra entrent dans les décors et dépasse le strict cadre d’une scène. Une seule séquence, très réussie, parvient à jouer de la porosité entre le récit encadrant et le passage au morceau chanté, celle de la revue, dans le salon du couple, de tous les morceaux exotiques qu’elle chante sur le tournage : enfin, se trouve l’inventivité qui fait toute la saveur du genre, où l’on utilise le mobilier, les accessoire et un espace a priori inopportun pour créer de toute pièce la magie du spectacle.
Pour le reste, le film est tout de même bien long (près de trois heures) et un brin figé : la question de l’autodestruction par l’alcool et de la culpabilité de la star restent des toiles de fond qui ne sont pas assez exploitée, Cukor s’intéressant davantage à ce qui doit être joué en pleine lumière.