Une star vieillissante ou sur une pente descendante se bat pour donner sa chance à une jeune artiste. Le succès de l'un signifie la chute ou le déclin de l'autre. Comme si la gloire était un invariant : si elle atteint l'un, alors elle doit abandonner l'autre.
Plusieurs films répondent à ce type de synopsis. Il y a d'abord les quatre (ou cinq ?) "Une star est née", il y a aussi "Limelight" et bien d'autres qui ne me viennent pas à l'esprit, à l'instant.
Le film de Cukor en 1954 est l'exact remake du film éponyme de Wellman en 1937. Avec une différence importante. Autant le film de Wellman magnifie la légende d'Hollywood avec l'espoir de réussite qui ne dépend que de son propre talent, autant le film de Cukor reste cruellement lucide sur les coulisses de Hollywood en décrivant les modes de fonctionnement et la pression exercée par les producteurs.
À cause de ses frasques (alcoolisées), Norman Maine est sur une pente fatale et ne s'illusionne guère sur une possible remontée même s'il l'espère un temps à travers son rôle de Pygmalion.
Quant à Esther, elle s'accroche à son métier-passion de chanteuse et à sa petite renommée de chanteuse de revue, durement acquise. Ce n'est pas la petite jeune débarquant, munie de son seul talent, à Hollywood. Elle ne s'illusionne pas sur son avenir. Et quand la gloire arrive brusquement, elle reste sur une prudente réserve.
Le rôle d'Esther (ou Vicky Lester) est tenu par une Judy Garland largement dans sa deuxième partie de carrière. On ne peut pas s'affranchir de la situation de l'actrice en 1954 qui n'est plus la star des années 40 mais une actrice prématurément vieillie à cause de sa santé et ses addictions, devenue ingérable sur les plateaux de tournage. C'est avec une étrange émotion que je regarde sa prestation, surtout dans la deuxième partie du film, où le personnage, Esther, éprouve une intense empathie, un immense amour pour son mari alcoolique qu'elle voit sombrer chaque jour. Alors que c'est Judy Garland elle-même qui est dans le rôle de Norman Maine. Elle n'a que 32 ans dans le film et ne ressemble plus beaucoup à cette autre Esther du "Chant du Missouri" …
C'est James Mason qui joue le rôle de Norman Maine. Je le trouve toujours grand dans son rôle d'homme atteint mortellement dans sa dignité et dans sa folie auto-destructrice.
D'un point de vue mise en scène, Cukor a aménagé son film sous forme de comédie musicale où Judy Garland fait plusieurs numéros, très réussis, avec sa belle voix puissante. Tourné en technicolor, plusieurs scènes sont remarquables comme celle du concert "privé" où Norman Maine découvre le talent d'Esther et surtout, sa "présence" sur scène. J'aime beaucoup aussi la scène de reconstitution de la journée de travail de Judy Garland tournée avec les moyens du bord. Et bien évidemment, le final, absolument bouleversant, dont on ne se souvient que du très beau "This is Mrs Norman Maine".
À l'origine, le film considéré comme trop long par la production, a vu quelques scènes charcutées. Dans la reconstitution du film complet, certaines des scènes non retrouvées ont été remplacées par des photos du tournage tandis que la bande son continue à défiler.