1959 c'est l'année de "125 rue Montmartre" de Grangier mais aussi des "400 coups" du sieur Truffaut qui dégoisait tant et plus sur le cinéma à la Grangier dans les "Cahiers".
En attendant, quelques bonnes dizaines d'années plus tard, "125 rue Montmartre" tient toujours la route et je le regarde toujours avec le même plaisir alors que j'ai oublié les "400 coups" qui ne m'intéressent guère (au pluriel puisqu'il y en a 400).
J'aime, dans le film de Grangier, le soin que le scénariste et le metteur en scène prennent pour bien asseoir l'intrigue du film. L'adresse donnée dans le titre c'est l'adresse du journal France Soir où convergent tous les vendeurs de journaux à la criée. On les voit donc œuvrer tranquillement pour recevoir leur paquets de journaux, se frotter les uns aux autres plus ou moins aimablement, puis ensuite courir à travers Paris pour les vendre : c'est un monde âpre, c'est le monde du travail, c'est le monde des petites gens. Cette partie du film tient presque du documentaire que le spectateur suit avec attention. D'autant que les dialogues d'Audiard amènent du croustillant dans les échanges.
Au fait, ce n'est pas pour asseoir l'intrigue du film puisque le film ne s'occupera ultérieurement pratiquement pas des ventes de journaux à la criée. Non, toute l'introduction est là pour que le spectateur connaisse juste le personnage joué par Ventura, ses réactions, sa vie, son caractère, ses relations avec les collègues et sa copine, Mémène. Et je trouve ça assez génial car le film est en trompe-l'œil. On va brusquement basculer ailleurs.
Lino Ventura avait toujours tourné comme second rôle dans bien des films dont "touchez pas au grisbi" (Becker, ici assistant de Grangier), "le rouge est mis" (Grangier). Ici, c'est une des premières fois qu'il va tenir un premier rôle.
Il va même changer un peu de registre. Jusqu'alors il avait souvent des rôles de gangsters ou de tueurs professionnels ou d'occasion, gros bras, bas du front. Ici il a un rôle de vendeur de journaux qui nécessite juste du muscle et de la voix, ce qu'il a. Mais son personnage c'est celui d'un bon vivant et de quelqu'un capable d'empathie :
Pour moi y a qu'une chose de sérieux dans la vie, c'est l'heure des repas et puis de temps en temps la bagatelle, mais à condition de pas se foutre à la flotte pour ça
Les autres rôles sont tenus par
- Robert Hirsch dans le rôle d'un maniaco-dépressif (pas sûr que je sache bien ce que ce terme recouvre, enfin) ; il me fait irrésistiblement penser à cet autre film "l'emmerdeur" où Ventura est face aussi à un énergumène (Brel) qui joue un personnage du même type.
- Jean Desailly qui joue avec bonheur le rôle d'un commissaire fine mouche, tout en miel, qui comprend vite et s'amuse de la situation. Excellent.
Et puis toute la galerie de ces acteurs de l'époque qui avaient un style ou une gueule comme Lucien Raimbourg, Henri Crémieux, Dora Doll, Andrea Parisy, Jacques Monod, Alfred Adam qui ajoutent leur petit grain et donnent du corps à l'ouvrage.
La mise en scène de Grangier, j'en ai déjà parlé pour l'introduction mais la rencontre Ventura -Hirsch est aussi très réussie avec de bons mots du genre "je te fatigue ? Non tu m'emmerdes" et de belles photos sur les quais de Seine.
Et puis il y a de belles scènes comme celle du cirque avec le numéro de clowns ; la caméra de Grangier en profite pour se balader parmi les spectateurs pour capter les rires des enfants et des adultes heureux, complètement pris par le spectacle.
Oui, un très bon polar pas très connu et qui mérite le détour.