Pièce essentielle dans l’œuvre de Christine Angot, Une Famille interroge la réception privée et publique du témoignage de la victime, du silence qu’il génère dans cette première sphère, du bruit qu’il occasionne dans cette seconde, suivant une polyphonie d’autant plus pertinente qu’elle dévoile les limites de la théorie selon laquelle « le monde est ma représentation », ou plutôt les limites du refuge que certains trouvent en cette représentation singulière du monde, et en cela inattaquable forteresse d’une bourgeoisie préférant fermer les yeux. Il s’agit alors pour l’autrice de réfléchir sur l’art, qui n’est pas un espace où le vrai et le faux se mêlent – Angot réfute la définition du roman donnée par la dernière femme de son père – mais un espace où l’on prend conscience de ce que l’on est par le visionnage de ce que l’on a été, un espace de dialogue entre le passé et le présent, entre deux versions d’une même personne, entre l’individuel et le collectif.
Nul hasard si la fille de la romancière apparaît en ouverture et en clausule, à un âge différent : elle incarne le changement de génération et la modification profonde des mentalités, puisqu’elle a été élevée et a grandi dans la connaissance de l’inceste, là où sa mère l’a subi sans avertissement. Une Famille transmet une parole, n’est pas autocentré mais aussi décentré que possible, étendu à tous, comme l’atteste la plaidoirie à venir de l’avocat qui refuse de voir dans l’entrée de force au domicile de Mme Schwarz une atteinte à la vie privée. Regarder le film comme une œuvre privée reviendrait donc à placer Christine Angot dans une position de victime isolée, de refuser l’universalité du combat mené depuis son adolescence et qu’elle poursuit ici habilement en figurant par un montage subtil assemblant un matériau épars (photos, lectures, captations vidéo amateures) la douloureuse mais nécessaire communication.