Critique publiée sur Kultur & Konfitur.


L'histoire du film est connue mais je la rappelle quand même parce que : Cannes 1964, Godard rencontre Luigi Chiarini, directeur de la Mostra (depuis l'année précédente), qui lui dit que ça serait cool si un jour il avait un film à proposer en avant-première à son festival. Parce que à l'époque (et aujourd’hui ça reste un peu le cas, mais moins), JLG c'est hype, on aime ce qu'il fait, ou en tout cas on sait que ça fait causer.


Qu'à cela ne tienne, JLG relève le challenge et affirme au transalpin qu'il l'aura pour cette année, donc trois mois plus tard. C'est sous cette contrainte temporelle que naît Une femme mariée, succès critique et chaleureusement accueilli, mais qui rencontre quelques soucis pour la sortie en salle, devant même changer de titre. Celui de base était La femme mariée, plus englobant, alors que Une femme mariée pose le cas comme unique. Fausse route ou en tout cas forme d'hypocrisie, "la" étant un article défini tandis que "une" est justement indéfini et peut aussi bien parler de toutes. Petit pied de nez de Godard, qui accepte de remonter son film mais qui en vérité ne change pas grand chose, à part le nom.



Godard des villes



J'ai toujours du mal à aborder un film de Godard. Je comprends tout à fait ceux qui n'y voit que de la masturbation intellectualisante poussive, pompeuse et qui tombe à plat, mais je ne peux m'empêcher de le voir comme quelqu’un qui essaie d'entrer en rupture, ne serait-ce que pour la forme. C'est insuffisant pour faire des chefs d’œuvre, mais permet de pousser les choses plus loin. D'un autre côté, il y a ce ton et cette cohérence à travers sa filmographie qui pose un cadre plus ou moins stable (on sait qu'on regarde un Godard, ce qui au fond va presque à l'opposé de cette dynamique de rupture et est plutôt conservateur), les fluctuations se trouvant à l'intérieur même de ce cadre.


Une femme mariée fait partie de ses films hypnotiques, dans lesquels on tombe sans faire attention, dont les plans captivent, ont un sens du cadre, du contraste, de la proximité. La composante sociale/sociétale chez Godard (ici société de consommation et triangle amoureux en interaction) peine toujours à me convaincre : peut-être parce que je ne me suis jamais assez penché sur la théorie du bonhomme et que je ne juge son travail que par ses films, mais à chaque fois cette composante me paraît plus faible que son rapport au corps et à l'acteur, et surtout l'actrice. Bien sûr, il parvient à être un certain reflet de son époque et de son évolution, sans qu'on sache vraiment s'il veut aller plus loin avec une forme de satire. Mais surtout, il choisit ses interprètes avec talent, les filme avec amour, tendresse. Chacun de ses plans est cadré avec soin, peut-être un formalisme vain pour certains, mais qui continue pour ma part de m'attirer. Tout reste dans la douceur, avec une dose d'érotisme savamment mesuré, sans jamais aucune vulgarité, et toujours un regard affûté sur les corps, les relations entre les corps (découpés par les cadres, Godard dépèce Macha Méril tout au long du film, mais toujours sans brusquerie), et par suite entre les cœurs. L'interprétation est comme souvent sans faille, il ne faut pas grand chose, tout se joue dans le regard, la délicatesse des gestes, de la bouche.


Il ne manque pas grand chose à Une femme mariée pour être un grand film. Comme souvent avec Godard : je suis captivé le temps du film. Si le fond, bien que pertinent, n’est peut-être pas le cœur du propos, son amour pour le cinéma ressort de chaque plan et de chaque interprète. Ce qui pêche un peu, c’est l’après-film, l’oeuvre ne restant pas assez en tête pour donner envie d’y revenir pour autre chose que sa forme.

Créée

le 9 mars 2014

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Flavien M

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