Tout le monde aime Mabel... Ses enfants, son mari, ses amis, sa famille, les amis de son mari...
Mabel est belle, généreuse et déborde d'amour mais Mabel est une femme sans inhibitions, qui agit suivant son instinct, qui dit ce qu'elle pense sans aucun filtre quitte à en froisser ou à en inquièter certains.
Pourtant Mabel ne désire qu'être une mère parfaite, une épouse idéale, un fille aimante, une hôtesse accueillante, rester une adolescente, séduire, être une maitresse, etc... mais à trop vouloir donner, Mabel s'éparpille, s'épuise, se délite et se perd...
Et elle apparaît comme folle au commun des mortels, alors que Mabel n'est qu'un amour, un bel animal d'instinct et une femme d'exception...
Difficile de décrire l'émotion et la tension qui parcourt cet immense chef d'œuvre de Cassavettes, difficile également d'en résumer l'histoire, car, comme toujours dans son cinéma, le film n'est qu'une succession de scènes qui s'enchaine sans apparente logique narrative (en tous cas classique...) mais qui opère de manière aussi mystérieuse qu'efficace à susciter une immense empathie avec (tous) les personnages, à créer une tension inouïe (qu'on pourrait presque ici qualifier de suspense...) et une émotion bouleversante.
J'ai toujours pensé que ce qui distinguait un chef d'œuvre d'un grand film tenait souvent à quelques minutes de génie pur... or ici, ces scènes d'anthologie pullulent, de l'incroyable scène de réunion familiale de trois générations au plumard, de la scène inoubliable du repas passant par la drôlerie, l'amour, la gêne, la cruauté et l'émotion, de l'incroyable scène du gouter d'enfant qui tourne vinaigre et surtout dans le bouleversant climax de la séquence du retour de Mabel avec ses dizaines d'amis et l'incongruité d'une succession d'événements tous inattendus et pourtant si justes...
Peu de cinéastes sont capables comme Cassavetes d'opérer cette espèce de captation quasi documentaire d'un réel réinventé par le cinéma... Pialat, les Dardenne, Kechiche ou Lars Von Trier en sont sans doute les héritiers mais il y a quelque chose d'unique dans le cinéma de Cassavettes qui tient sans doute aux "torrents d'amours" qui se déversent à chaque plan malgré la rudesse du propos et de la mise en scène.
Il convient d'ailleurs, à ce titre de dire quelques mots de l'incroyable performance de Gena Rowlands qui semble totalement possédée par le personnage de Mabel et que Cassavettes filme avec autant d'amour que de lucidité ou de cruauté qu'on en a le frisson.
Voila ici l'alchimie unique entre un cinéaste qui filme sa comédienne jusqu'à l'os et une actrice qui s'abandonne à la caméra nue et sans fard.
Gena Rowlands ne joue pas, elle incarne Mabel et Cassavettes lui insuffle la vie et l’énergie.
Avec Une femme sous influence, on est au delà du cinéma, on est au cœur du vivant, du palpitant, de la chair...
Mabel c'est nous, c'est moi, ma mère, ma sœur, ma fille, mon sang, ma sueur.
Mabel c'est ma famille, je l'aime, elle me hérisse, m'embarrasse, me comble...
Une femme sous influence n'est pas un film, c'est une expérience de vie.
Un des plus grands chef d'oeuvres de l'histoire du cinéma... Rien que ça.