C'est le film le plus fameux de Cassavetes et l'un de ses meilleurs. Tourné en 1972, il n'est lancé en salles que deux ans plus tard et marque alors le premier grand succès commercial de l'acteur devenu réalisateur indépendant. Contrairement à d'autres de ses œuvres, Une femme sous influence suit un déroulement pré-écrit ; les acteurs gardent une large autonomie et peuvent notamment se donner lors de longs plan-séquences. À l'arrivée ce septième opus de Cassavetes est peut-être le plus représentatif de sa focalisation sur le langage corporel et de sa sacralisation de l'acteur (''acteur-roi'').
Gena Rowlands trouve alors un de ses meilleurs rôles dans la peau de cette femme maniaco-dépressive/bipolaire (Mabel), aux phases parfois embarrassantes et inquiétantes pour les autres. Habituée des classes moyennes et petites-bourgeoises, la caméra de Cassavetes s'invite cette fois dans un univers plus ouvrier. Peter Falk (futur héros de Columbo), le mari travaillant sur les chantiers, est souvent absent et débordé par les troubles de Mabel. Immodérément expressive et réceptive, Mabel est prisonnière d'un espace plutôt penaud et limité, où elle ne peut que s'enterrer à mesure qu'elle s'exalte ou se débat.
Sa tension génère un inconfort et finalement la panique autour d'elle, en même temps qu'elle occupe une fonction de paratonnerre. Mabel est le catalyseur de toutes les petites névroses, le miroir des frustrations du milieu qu'elle est une des seules à affronter (les autres sont dans l'acceptation ou dans l'indifférence). À force de se couper de ses proches elle devient le bouc-émissaire de leurs malheurs. Elle passe de l'incommunicabilité hystérique à l'état de victime semi-lucide sur sa déchéance, expérimentant concrètement l'injustice et l'absurdité de sa condition, qu'elle pressentait tellement jusqu'ici, quitte à paraître inauthentique.
La séance peut tourner à vide ; un peu trop sous l'emprise de son héroine, Cassavetes n'ose jamais l'interrompre. Cette fidélité à ses principes paie en général et la spontanéité propre à son cinéma a rarement abouti à un résultat si puissant. Quelquefois le spectateur se trouve dans le surplace monomaniaque avec Mabel, mais jamais la lassitude ne pointe. Le film est triste, il traîne une part d'ennui mais reste toujours parcouru par de fortes vibrations. De grands éclats de voix viennent ponctuer et Cassavetes réussit à sortir de cet espèce de maniérisme random le caractérisant trop souvent, pour fournir des scènes poignantes car arraché à un probable réel et pas celui de clowns narcissiques ou bruyants en vain (Faces, Shadows).
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