Suite à sa démarche promotionnelle au service de l'association internationale Ashoka - association qui se donne pour but de soutenir des initiatives citoyennes dans différents pays -, Judith Grumbach se retrouve détentrice de plusieurs heures de filmage dans neuf établissements d'enseignement français. De ces rushs qu'elle se refuse à laisser purement et simplement de côté, naîtra ce documentaire, "Une Idée folle".
Contrairement à ce que dénonce la comptine - "Qui a eu cette idée folle, / un jour, d'inventer l'école ?" -, les images qui vont défiler sous nos yeux entreprennent de démontrer que, si folie il y a dans la création puis dans la perpétuation de l'école, il peut du moins s'agir d'une belle, bienveillante et contagieuse folie. Des neuf établissements retenus, huit sont des écoles primaires, publiques ou privées, généralement de campagne ; une seule, privée, est parisienne ; s'ajoute un collège, public, de la banlieue bordelaise.
À hauteur d'enfant, le film restitue quantité de démarches pédagogiques intéressantes, menées auprès des écoliers, afin de développer leur motivation, leur autonomie, leur confiance en eux, leur empathie : des câlins matinaux par groupes de trois, pour bien commencer la journée ; différentes formes de groupes de parole, afin d'analyser et de régler les problèmes ; dans les classes uniques, donc à niveaux multiples, les aînés aident les cadets dans leur démarche d'apprentissage, puis se forment eux-mêmes à l'aide des manuels et d'Internet ; le menu de la journée, avec les différentes matières à travailler, peut leur être affiché au tableau et ils peuvent organiser librement l'ordre dans lequel ils aborderont ces disciplines ; dans une classe, un tableau, indiquant les humeurs possibles, se trouve à l'entrée ; chaque matin, les élèves placent le magnet porteur de leur nom dans la colonne correspondant à leur humeur ; ceux qui signalent un malaise ont droit à un entretien, afin de tenter de circonscrire la source de leur problème... Des partenariats et des visites régulières sont instaurés auprès des anciens du village... L'enrichissement est alors mutuel. Les élèves semblent apaisés, heureux, l'absentéisme recule...
À l'opposé de toute cette petite vie bouillonnante, infiniment touchante, on est moins convaincu par le discours des enseignants, souvent aussi directeurs de l'école dans laquelle ils exercent... Discours trop fréquemment débité comme une leçon bien apprise, l'œil éteint. On y retrouve certains poncifs de la pédagogie actuelle : "La place de l'enseignant, dans la classe, n'est plus d'être celui qui sait." Ah bon ? Parlons de manières nouvelles, moins centralisées, de transmettre le savoir ; mais pourquoi est-il devenu indécent de poser l'enseignant comme détenteur de connaissances ? D'autant que, face caméra, ceux qui nous sont montrés se rattrapent bien, étalant leur lexique pédagogique d'un ton docte et dénigrant, en chœur avec les quelques théoriciens également conviés, l'ancienne école, l'ancienne façon de faire, nécessairement obsolètes, puisque le monde a changé...
Pourquoi feindre d'ignorer que nombre d'enseignants, même dans le cadre "ancien", s'emploient déjà à transmettre les valeurs humanistes et valorisantes que ces collègues présentés comme des pionniers défendent également ? Pourquoi associer le dénigrement à cette présentation d'une pédagogie humaine et respectueuse de l'enfant ? En dépit d'une déclaration finale qui tente un peu de redresser la barre, on regrette que la cinéaste, au rebours des valeurs officiellement transmises à ces enfants, n'ait pas résisté aux sirènes du rabaissement afin de mieux promouvoir, et se soit faite complice de l'instauration de dichotomies. Pourquoi fossiliser le "hier", oubliant la diversité vivante qui a été la sienne, pour mieux vanter "le bel aujourd'hui" ?