Festival Sens Critique, 16/16
Le beau plan séquence qui ouvre le film initie la journée du titre, qui semble n’avoir rien de particulier a priori : Sophia Loren y réveille, un à un, sa famille nombreuse, veilleuse et gardienne, attentionnée et les traits un peu tirés par la tâche. Quotidien et populaire, le milieu dépeint nous projette dans l’intimité banale d’une famille moyenne.
Tout au plus a-t-on été prévenu des événements de l’extérieur de l’appartement : la visite d’Hitler à Mussolini en ce jour de mai 1938, qui va vider les habitations pour un défilé grandiose que nous ne verrons jamais.
La dichotomie extérieur/intérieur ainsi posée, le récit va pouvoir se développer. Sur cette unité de temps, la journée, va se greffer celle de lieu, un immeuble typique du fascisme, à la fois grandiose et carcéral, où la vue sur la cour et les autres habitations permet le vis-à-vis et la surveillance passive. Le surplomb du matin permet de voir la fourmilière se disperser pour converger vers les dictateurs qui galvanisent les foules. Nous restons avec les esseulés, la mère de famille et le voisin d’en face, chacun ayant ses raisons de ne pas participer à l’engouement général.
La rencontre entre ces deux solitudes poursuit le cliché de la comédie sentimentale cinématographique : sorte de screwball feutré, échange malin dans une situation opportunément permissive, tous les séduisants poncifs de la romance semblent permis.
Pourtant, dans l’étrangeté de ces lieux vidés, les dissonances nécessaires pour gripper la machine bien huilée du cadre affluent : une vieille voisine vient, au bon moment, se faire la voix de la doxa sur le statut du séduisant voisin, et la bande son ne cesse de rappeler, par la radio, le contexte historique, idéologique et militaire.
L’unité d’action, cet écart, ce no man’s land dans lequel la parole d’individu va s’épancher à l’abri des vociférations de la foule, va progressivement faire tomber les masques. Etre un individu, c’est prendre conscience, alors, de tout ce qu’on vous a pris, de tout ce qu’on vous interdit d’être.
Car l’une des belles idées du récit et de faire du fascisme la norme, un code ronronnant dans lequel les foules se complaisent paisiblement : en témoigne l’intérieur de l’appartement, le portait du Duce en boutons, ou l’album photographique. Le fascisme a gagné, il n’est pas un élément perturbateur. Il entoure calmement les protagonistes, les noie par le défilé au loin, les observe par les lucarnes aveugles, les écoute dans les cages d’escalier et va jusqu'à absorber les couleurs de la photographie, d'un terne sépia assez inquiétant.
(Spoilers)
La rencontre de l’homme et de la femme va donc, au moment où elle pourrait valoriser l’intérieur de l’adultère comme remède aux douleurs infligées par l’extérieur, prendre tout son sens dans la révélation des vérités individuelles : je suis homosexuel, je suis mère porteuse du fascisme, vérités qu’on criera dans la cage d’escalier ou qu’on formulera pour soi-même, avec hébétude.
Point de romance, donc, mais une initiation sexuelle : à la tendresse, à la femme, en forme d’adieu au terme d’une journée particulière. Le soir, l’espace reflue brutalement : la fourmilière retrouve ses cases dans la résidence, et au duo silencieux et charnel succède la banalité violente de la famille nombreuse.
Tout comme l’unité d’action s’est métamorphosée, l’arrière-plan bascule : c’était l’horreur collective du défilé, compacte et invisible, présente par le son ; c’est désormais l’appartement d’en face, de Gabriel, silhouette fluette et gracile, dans un silence assourdissant, en instance de disparition par sa déportation imminente.
Lorsque Antonietta éteint les lumières de l’appartement, la brusque chape de plomb du quotidien étouffant reprend définitivement ses droits. Silence, devoir conjugal, éviction des anormaux : le retour à l’ordre, feutré et serein, n’en est que plus glaçant.