La fable a ceci d’intéressant qu’elle procède toujours par grossissement : le spectateur sait que dans cette entreprise argumentative, l’outrance est assumée, et qu’on joue avec elle pour exacerber la démonstration. Les femmes au balcon, actuellement en salle, en est un bon exemple, tant son mauvais goût peut, pour certains, se justifier par la rage qui le motive à faire bouger les lignes. Une langue universelle appartient au même genre, mais dans une tonalité exactement opposée : proposer le même appel à la tolérance et au vivre ensemble, mais par le biais d’une poésie tendre et décalée.


Conte québécois absurde, le film évoque dans une ville de Winipeg où tous les écriteaux sont en farsi (de quoi provoquer des suées tsunamiques aux théoriciens du Grand Remplacement) le retour au bercail d’un fiston auprès de sa mère malade. Le récit choral passe d’un individu à l’autre dans une ville bétonnée sous la neige, tout en nuances de gris, où les cadrages poétisent à l’envi la tristesse lépreuse d’une urbanité décatie. On pense évidemment beaucoup à Tati dans cette inventivité visuelle constante, qui fait des personnages les funambules d’une performance modeste mais sincère. Car dans cet amas de séquences absurdes (visite des tombes sur une bretelle d’autoroute, recherche d’une hache, cours pessimiste à des bambins remisés dans un placard…), les fêlures et la tendresse ne cessent de remonter à la surface.


L’habileté de Matthew Rankin consiste à mêler des tensions contraires pour mener à bien son récit : la laideur du cadre à la poétique trajectoire des individus, l’étrangeté des immigrés à l’humanisme généralisé de la communauté, la fragmentation chorale à la convergence finale de tous les récits, l’absurdité des situations à la quête éperdue d’accomplissements personnels.

La satire acerbe sur l’administration (« de loin l’expérience la plus neutre de ma vie », dira un employé sur le départ) ou le commerce (les fausses publicités québécoises) rappelle le regard sans fard d’un Roy Andersson, auquel il faudra néanmoins ajouter la tendresse de son presque homonyme Wes Anderson pour la sublimation par une esthétique si soignée qu’elle semble éclabousser l’environnement de la pureté intérieure des êtres. Mais la grande force de cette odyssée bancale ne réside pas dans sa capacité maline à tresser tous les fils narratifs pour un effet de boucle assez séduisant, ou de lorgner du coté du fantastique pour fusionner un fils adoptif et celui qu’il remplaçait. Les convergences permises par l’écriture, le style et la fantaisie sont avant tout substitut à tous les replis sur soi, et un appel vibrant au vivre ensemble.

Sergent_Pepper
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