La graine du doute
Comment réagir quand votre conjoint, ami ou collègue est soupçonné de meurtre ? Jusqu'où va la confiance ? Tout l'argument d'Une part d'ombre tient dans ces questions développées avec un certain sens...
le 11 nov. 2017
7 j'aime
[Critique à lire après avoir vu le film]
David est en vacances dans les Vosges avec une bande de potes, qui sont aussi ses collègues pendant l'année au sein d'un lycée chez lui en Belgique. Avec sa femme c'est l'amour, au point d'avoir envie d'un petit coup vite fait dans une cabane parce que c'est excitant. David est aussi un bon père, complice avec son fils, actif avec son bébé. Bref, tout semble rouler. Un soir, il part tout seul faire un footing, ses copains étant censés le rejoindre s'ils parviennent à vaincre une flemme manifeste. Son petit tour de forêt sera solitaire, et lourd de conséquences puisque David va croiser une femme sur le point de se faire tuer. Un garde-champêtre l'a vu monter dans la voiture de la victime et on retrouve ses empreintes digitales sur la portière côté conducteur : de quoi exciter suffisamment la curiosité de la police française, qui va découvrir que notre David était empêtré dans des histoires d'adultère et d'argent. Notre homme a bien aperçu un type louche à un arrêt de bus mais celui-ci est introuvable. Dès lors, l'ombre d'un doute s'insinue dans les esprits. Le bel édifice s'écroule : parmi sa femme et ses amis, qui va continuer à lui faire confiance ? Tel est l'argument du premier long-métrage de Samuel Tilman.
L'intention était louable : escamoter le plus possible le crime, l'enquête et le suspense lié à l'identité du meurtrier, pour se consacrer à la réaction des proches de David et à celle de David lui-même. Ainsi Tilman laisse-t-il hors champ les policiers qui interrogent tour à tour David et sa femme. Le meurtre non plus ne sera pas montré. Judicieux.
De façon un peu didactique, Tilman s'emploie ensuite à décliner les différentes attitudes de l'entourage de David. Julie, sa femme, le quitte dès qu'elle découvre cette liaison depuis trois ans avec une jeune Polonaise, mais elle lui garde son amour, désireuse que David soit innocenté. Simon, à qui David venait d'emprunter de l'argent, le lâche, tout comme Maud, choquée surtout par la liaison adultère tenue secrète - ici, la morale vient contaminer l'affaire judiciaire comme dans La vérité de Clouzot et, plus récemment, La fille au bracelet de Demoustier ou l'incontournable Anatomie d'une chute de Triet. Marco et Fabian hésitent, ce dernier surtout soucieux de ne pas ternir la réputation de son lycée. Seul Noël fait preuve d'un soutien sans faille à son ami, prêt à l'aider à retrouver le type louche-car-à-capuche de l'arrêt de bus. Sa compagne Cathy, elle, doute de plus en plus, allant jusqu'à ébranler les certitudes de Noël. Enfin, son avocat ne se sent pas concerné par la possible culpabilité de son client : ce qui lui importe, c'est de gagner en dégotant les bons arguments.
Très bien sur le papier, mais à l'écran ? Force est de reconnaître qu'on a vu ce sujet beaucoup mieux traité. Par exemple dans La chasse de Thomas Vinterberg : un enseignant accusé de harcèlement était peu à peu lâché par son entourage, d'une façon bien plus poignante qu'ici. En cause, d'abord, la réalisation, assez banale : on déplorera comme souvent l'abus de gros plans et de caméra à l'épaule, deux procédés qui peuvent s'avérer très expressifs si on les utilise avec parcimonie mais qui sont devenues la tarte à la crème du cinéma contemporain, français en particulier. Quelques marqueurs de banalité, comme je les nomme, ramènent également le long-métrage de Tilman au niveau du téléfilm : musique illustrative évoquant vaguement Satie, scène de danse sur du boum-boum, d'échanges dans l'habitacle d'une voiture, de bonheur familial pour contraster avec les affres de la situation de David, de spectacle scolaire pour évoquer les enfants. Tout cela a un méchant goût de déjà vu. Pour ne rien arranger, les dialogues sont souvent convenus. Exemple sur la question de l'adultère : "cette fille, c'était rien... je t'aime Julie...", "y en a pas eu d'autres, y a eu qu'elle..."... On n'est pas chez Bergman.
On déplorera aussi des faiblesses dans le scénario :
- Pourquoi cette ressemblance physique entre le tueur et David puisque l'homme qui a pénétré dans la voiture n'a été vu que de loin et de nuit ? Coïncidence peu crédible et inutile.
- Comment expliquer que le meurtrier n'ait pas volé l'argent alors qu'il a pris le temps de déplacer le corps (et pourquoi, d'ailleurs, l'avoir déplacé) ? A moins que le motif soit d'ordre sexuel ? Il eût fallu dans ce cas au moins le suggérer, alors qu'il n'est jamais question de viol tout au long du film. On ne voit pas, d'ailleurs, comment il a pu s'y prendre pour tuer une femme au volant. Je veux bien que ce ne soit pas le sujet principal du film, mais puisqu'il dévoile, in fine, la vérité, il aurait été bien de faire à peu près tenir l'édifice...
- Comment Noël peut-il ne concevoir aucun soupçon alors qu'il a vu, le soir du meurtre, son copain planquer quelque chose dans sa voiture ? Pourquoi n'en parle-t-il pas à David ?
- Quant à l'histoire de notre héros qui s'endette pour acheter des trucs à sa maîtresse en Pologne et se retrouve victime d'un chantage de la part de sa famille, au point de devoir trouver 15 000 € !... je l'ai trouvée assez capilotractée...
Autant de zones grises dans un scénario un peu faible. On le voit, le film cumule pas mal de travers.
Il offre malgré tout quelques réussites : une poignée de belles images (celle d'ouverture en plan large avec cette unique maison cernée par la forêt, David dans son footing encadré par des arbres, quelques plans de troncs irisés) et plusieurs comédiens convaincants (mention spéciale à Natacha Régnier, émouvante de pudeur frémissante). Enfin, l'ultime péripétie est intéressante : David n'était pas le meurtrier, mais il avait bel et bien quelque chose à cacher. De la sorte, Samuel Tilman trouve une porte de sortie pas trop convenue à son film.
Une synthèse sous forme de note puisque l'exercice l'exige ? La note moyenne de mes éclaireurs au jour où j'écris place le curseur au bon endroit : va pour un 6,5.
Créée
le 25 août 2024
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