Il ne savait pas que c'était impossible alors il l'a fait !
Le hasard de la programmation cinématographique fait que j'ai vu Une Vie juste après la Zone d'Intérêt de Jonathan Glazer, traitant de l'abominable Rudolf Höss, devoir de mémoire oblige, et je dois dire que cela fait du bien d'assister aux exploits héroïques de Nicholas Winton, témoignage éternel de la foi, ô combien vacillante en ce moment, que nous pouvons avoir en l'humanité !
Une Vie est le biopic britannique de ce héros "ordinaire", porté à l'écran par James Hawes, dont c'est le premier long-métrage après une carrière en tant que Directeur de films TV. Il a pu profiter du film documentaire réalisé sur grand écran, en 2002, sous le titre Nicholas Winton, la force d'un juste, par le Slovaque Matěj Mináč. Mais le réalisateur s'est surtout inspiré du livre de Barbara Winton, la fille de Nicholas : If It's Not Impossible…The Life of Sir Nicholas Winton, publié en 2014.
Même s'il serait préférable de ne rien connaître à cette histoire, pour pleinement apprécier le film (hélas la BA en dit trop), son plus grand intérêt, et l'émotion forte qui s'en dégage, est de comprendre comment un agent de change Londonien de 29 ans, plutôt bien payé, et s'apprêtant à partir aux sports d'hiver fin 1938, décide de rester à Prague et a l'intuition que l'urgence est de sauver des enfants, juifs pour la plupart, alors que les allemands viennent juste d'annexer le peuple des Sudètes, la partie allemande de la Tchécoslovaquie, dans le cadre des accords de Munich ?
Le film nous montre avec subtilité et détails que tout est affaire de rencontres, d'origines familiales, et de conviction !
Tout le scénario tourne avec adresse autour de Nicholas Winton, presque 50 ans après les faits, en 1987, incarné par un magistral Anthony Hopkins, d'une profondeur inouïe dans le rôle de cet anti-héros ordinaire, alors qu'il retrouve presque par hasard l'album rassemblant les enfants qu'il a sauvés. On ressent en permanence, dans l'esprit de ce vieil homme, les pensées qu'il conserve de cette période du sauvetage de ces enfants, ces pensées étant rejouées dans le film par flashback réguliers par son double de 29 ans, incarné par l'excellent Johnny Flynn, tout en modestie, empathie et le naturel de ses actions.
Ces allers et retours présent <-> passé sont très bien construits, sans couture, et rendent le film vivant et passionnant à suivre de bout en bout.
Parmi les belles et décisives rencontres du jeune Nicholas à Prague, la plus décisive est celle avec Doreen Warriner, incarnée par la lumineuse Romola Garai, cheffe du Comité britannique pour les réfugiés de Tchécoslovaquie à Prague, venant principalement d'Autriche et d'Allemagne. Avec elle et d'autres acteurs locaux de l'époque, on appréhende bien la complexité de la logistique visas/financement/familles d'accueil et la course contre la montre de ces fameux "Kindertransport" en train, alors que seules la Grande-Bretagne et la Suède accepte de les recevoir. Mais les vraies rencontres, ce sont celles, très émouvantes, avec les familles de réfugiés et leurs enfants, ainsi que la perspective de séparations déchirantes sans certitude d'avenir.
L'impact des origines familiales et les convictions qui en découlent, on les comprend avec la mère du jeune Nicholas (Helena Bonham Carter, actrice pleine d'énergie), fille d'une famille d'origine juive, convertie au christianisme à Londres, et leur engagement commun très fort pour la réussite de ces opérations délicates. Et l'on perçoit avec elle la force éducative d'aider son prochain, valeur très ancrée dans cette famille.
Dans ce contexte, le film nous montre très bien l'intuition du jeune Nicholas devant l'urgence et les incertitudes de ces transferts d'enfants, face aux bruits de botte imminents !
Avec toutes ces pensées qu'on lui sent revivre, le Thomas Winton/Anthony Hopkins, poussé par sa femme Grete (jouée par une Lena Olin douce mais déterminée), et se laisse convaincre en 1988, juste 50 ans après, tout en retenue car il regrette de ne pas en avoir sauvé plus, d'évoquer son histoire encore inconnue; il le fait auprès de Betty Maxwell, historienne française (Marthe Keller), convaincue immédiatement de l'importance de cette histoire.
Les scènes finales, dans l'émission TV That's Life, lors desquelles Nicholas Winton (surnommé dès lors le British Schindler) découvrira les personnes que sont devenues ces enfants, avec un Anthony Hopkins prévenu au tout dernier moment (secret de tournage), sont d'une émotion profonde, sans pathos, et le spectateur ne peut s'empêcher de verser une larme. Mais pourquoi tenter de les retenir, alors qu'on sait que près de 700 enfants ont été sauvés, plus de 6000 descendants aujourd'hui, contre 200 survivants sur 15 000 enfants par ailleurs déportés de Tchécoslovaquie à l'époque ?
Un grand film puissant à voir et revoir, notamment par les jeunes générations, pour ne pas oublier cette histoire humaine tellement hors du commun, que nul n'aurait pu l'inventer !