J’adore le cinéma dans son entièreté, également pour ses œuvres les plus suggestives, qui provoquent malaise, dégout, indignation. Je suis toujours surpris de la radicalité de certains qui prônent la censure pure et simple, une sanction extrême généralement non méritée. De tous les films que j'ai vu, je ne me suis insurgé que devant Human Centipede 2 et A serbian film.
Je me suis donc intéressé à Unplanned lorsqu’il a été programmé à la télévision française en première partie de soirée et qu’il a suscité la révolte de nombreux spectateurs. Le sujet de la controverse est rapidement trouvé puisqu’il s’agit d’un film dont la morale condamne l’avortement. Prise de position plutôt rare et audacieuse, ça m’interpelle. Je suis 100% pro-IVG donc je me doute rapidement que je ne vais pas porter le film dans mon cœur, mais je suis curieux à la fois sur le film en lui-même et sur les réactions qu’il provoque.
Petite contextualisation avant tout ! Il est bien connu que la misogynie, le racisme ou encore l’homophobie ne constitue en aucun cas une opinion mais un délit. Tout film qui en ferait donc l’apologie serait strictement interdit, et réalisateurs et producteurs traduit en justice. A l’inverse, pour ce qui concerne l’avortement, toute opinion, qu’elle soit favorable ou non, est tolérable, tout comme il est possible de se proclamer pour la peine de mort, pour la légalisation du cannabis, la prostitution, etc.
Toutefois, il existe une loi qui interdit de faire entrave au droit à l’avortement :
Est puni de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende le fait d'empêcher […] de pratiquer ou de s'informer sur une IVG […] par tout moyen, y compris par voie électronique ou en ligne, notamment par la diffusion ou la transmission d'allégations ou d'indications de nature à induire intentionnellement en erreur, dans un but dissuasif […] soit en perturbant l'accès aux établissements [permettant d’avorter], soit en exerçant des pressions morales et psychologiques, des menaces ou tout acte d'intimidation à l'encontre […] des femmes venues recourir à une interruption volontaire de grossesse ou de l'entourage de ces dernières.
Article L2223-2 du Code de la santé publique
La subtilité avec l’opinion sur l’avortement est qu’il est complètement légal d’être anti-IVG et de tenir des propos anti-IVG (contrairement à des propos misogynes, racistes ou homophobes qui eux ne peuvent en aucun cas être tenus) mais il est illégal de nuire au droit à l’avortement. La question se pose donc de savoir si une œuvre artistique dont la morale diabolise ouvertement l’avortement fait simplement usage de son droit à la liberté d’expression ou si cela constitue une entrave au droit à l’avortement.
A cela, j’ai envie de dire, tout dépend de l’importance que chacun donnera à l’influence d’une œuvre cinématographique. Personnellement, je peux me sentir inspirer par une œuvre, mais rarement consciemment influencé. Et on peut aussi dire que chacun est libre de regarder ou non Unplanned, donc personne n’est directement entravé dans sa liberté d’avorter.
Toutefois, Unplanned est bien plus qu’un petit film à l’opinion nauséeuse. Il est difficile d’ignorer sa portée politique quand on sait que le producteur n’est autre que Pure Flix, une boite de prod évangéliste qui a pour but d’influencer l’opinion publique et de répandre le mode de vie qu’elle juge bon à toute la population. Unplanned part donc avec une épine dans le pied puisqu’il dépasse le stade de la liberté d’expression pour entrer dans le lobbying.
Mais le pire est ailleurs ! J’étais intrigué de voir un film pro life, et en bon avocat du diable que je suis, je me suis dit qu’il y avait énormément de pistes intéressantes. Le film aurait pu se tourner vers la dénonciation de ce que l’on juge comme étant juste en fonction de l’avancée scientifique et qu’on risque ainsi une forme de déshumanisation de la société (par exemple, pourquoi autoriser l'avortement à 12 semaines de grossesse et pas à 13. Quand commence réellement la vie?). Il aurait pu se centrer aussi sur la pompe à fric qui se cache derrière des organisations soit disant à but non lucratif, ou encore sur des question d’éthique sur le bien être à venir de l’enfant (par exemple, favoriser l’avortement lorsqu’il s’agira d’un enfant handicapé… en quoi n’aurait-il pas droit à la même vie qu’un autre ?). Bref, le film aurait pu prendre plein de chemins différents, mais le problème est de faire reposer son argumentaire sur l’existence de Dieu, qui crée la vie, et qui condamne donc les individus qui y portent atteinte. Le film se termine d’ailleurs en disant explicitement que l’enfer attend celles qui auraient recours à l’avortement. On dépasse donc ici la liberté d’expression censé être le résultat d’une argumentation construite et réfléchie, pour tomber dans la morale la plus primaire qui soit. Je suis personnellement complètement athée mais j’imagine que ce film aura forcément une incidence sur une personne croyante. C’est sans doute la plus vile des manipulations de jouer sur le crédo de la croyance.
Mais le pire n'est toujours pas là ! Certains s’élèvent contre l’interdiction d’un tel film en sortant l’argument du « Ce n’est qu’un film ! S’il faut l’interdire lui, alors interdisons plein de films mettant en avant des tueurs en séries, etc. »
Or, la différence est qu’un film d’horreur bien gore ou un Tarantino s’inscrit dans un univers détaché de notre quotidien, de notre réalité. Ils versent d’ailleurs bien souvent dans un excès volontiers absurde, avec une forme de sadisme récréatif, un second degré qui invite à la digression. A aucun moment il y a lieu d’être pour ou contre les actes mis en avant.
Avec Unplanned par contre, la lecture de l’intrigue est littérale puisque le film repose sur les mémoires de Abby Jonhson, qui existe donc vraiment, et pointe du doigt l’organisation Planned Parenthood (qui a d’ailleurs été traduit par Planning familial dans la VF, ce qui rend la désinformation encore plus grossière). Le ton du film est complètement premier degré dès les premières secondes et aborde une approche documentaire. Une voix off brise même constamment le quatrième mur en s’adressant à nous et en rappelant qu’il s’agit bien d’un témoignage et non d’un simple film. Alors quand on aborde un thème aussi sensible que l’avortement et qu’on a en plus une approche informative, il serait plutôt consternant de nous montrer de grosses conneries, non ? Pas manqué ! La première séquence met en scène l’avortement d’un fœtus de 24 semaines qui semble se débattre lorsqu’une aiguille, introduite dans l’utérus de la mère, se plante dans son cœur pour lui provoquer une crise cardiaque. Un tube est ensuite inséré dans l’utérus (procédure d’aspiration qui existe réellement), et nous avons droit un plan montrant le récipient contenant un joli gaspacho de fœtus broyé. Une situation totalement irréaliste tout en se basant sur des pratiques qui elles existent réellement. Unplanned s’enfonce ensuite un peu plus en montrant l’horreur de certains avortements, les douleurs extrêmes, les pertes de sang,… la succession de patients subissant le pire semble vouloir dire qu’à aucun moment un avortement peut bien se passer. Attention, on sait bien que ce n’est pas une partie de plaisir, et que c’est sans aucun doute un évènement traumatisant, mais mettre en scène de manière systématique ce qui peut éventuellement arrivé, c’est de la pure désinformation.
En plus d’être artistiquement insipide, digne d’un téléfilm de l’après midi sur M6, avec des acteurs risibles, une réalisation paresseuse, une BO pop teenager immonde (comme par hasard, on se demande à qui le film s’adresse), et une intrigue cousu de fil blanc, Unplanned se paie le luxe de désinformer sur l’avortement, d’utiliser la religion pour manipuler ses fidèles et mise uniquement sur la peur plutôt que l’information. Unplanned est non seulement vide, mais également lâche et surtout dangereux.