J’aurai toujours un énorme respect pour le créateur de Desperate Housewives qui a été pendant longtemps ma série préférée. Bien qu’elle commence à vieillir et semble banale aujourd’hui, il faut la remettre dans son contexte pour se rendre compte de son impact. Elle a clairement fait partie de la révolution télévisuelle.
En 2003, le paysage télévisuel est très morne et codifié. Les séries sont quasi-exclusivement policières, on a aussi des teen drama aseptisés, et quelques séries fantastiques vieillissantes qui sauvent les meubles, les survivantes des « folles » années 90 (coucou Buffy !).
C’est dans ce contexte que Desperate Housewives débarque de nulle part, mettant en avant des personnages peu séduisants au premier abord : Des quadras ? Mères au foyer en plus ? Mais quel intérêt ? Hm... non, non merci.
Sauf que la série a surpris absolument tout le monde avec ces airs de soap opera bourré d'auto-dérision. Non seulement la série est hilarante, fleurtant avec la parodie, avec des dialogues ciselés tour à tour savoureux, décapants, cyniques, une écriture délicate et élégante contrebalancé par des gags visuels un peu gras à faire pâlir les meilleures sitcoms (la scène de la serviette avec Susan franchement). Mais surprise, la série côtoie aussi parfois le thriller. Tous ces ingrédients improbables mais harmonieusement mélangés à un sens incroyable de la narration, un certain sadisme jouissif, n’hésitant pas à s’inspirer des grandes tragédies grecques (tromperie, enfant caché, meurtre sanglant... mais jamais traité au premier degré), donne un résultat époustouflant. La série réussie à être à la fois vaudevillesque, donc populaire, et intelligente, par sa satire acerbe d’une Amérique qui dort avec une bible et un flingue dans le tiroir de sa commode. Elle réussit aussi à émouvoir, donnant juste ce qu'il faut d' aplomb à ses intrigues légères, en abordant les sacrifices de la ménagère dont tout le monde se fout mais qui concerne pourtant des millions de femmes. Tout cela en rajoutant une storyline policière sordide et une narration chrétienne perchée avec une oratrice en off, fraîchement suicidée dès les premières minutes, qui nous raconte son petit monde depuis l’au-delà, rien que ça. C’est comme si on avait ramené American Beauty et toutes les contradictions de la petite bourgeoisie américaine dans le monde ultra-formaté de la télévision, un exploit.
Depuis, Marc Cherry a usé sa série jusqu’à la corde, la faisant devenir sa propre caricature, et il ne cesse depuis de vouloir jouer sur le même filon. Nous avons ainsi eu droit à l’énorme plat rance Devious Maids, un soap pur et dur, une tragicomédie aux ressorts dépassés et faussement politiquement incorrect.
Il remet pourtant cela avec Why Women Kill ? Dès le générique, c’est gros comme une maison, il reprend les mêmes ingrédients et nous offre le même plat : de l’humour, du drama et une touche de sadisme. Sauf qu’ici, chaque genre est poussé dans ses extrêmes, le trait est forcé, et la sauce ne prend pas, parce que les dosages ne sont pas bons, donc il n'y a pas d’harmonie. L’humour tombe à plat, les gags sont lourds (le mec qui traverse sa vitre de douche, franchement), les personnages sont dans l’overreacting et le scénario paresseux et poussif (par exemple, la façon dont elles apprennent l’infidélité de leur mari).
Mais ce n'est pas tout ! Marc Cherry pousse le vice et ose même reprendre ses personnages phares : Lucy Liu se grime en une Gabrielle Solis amplifiée (qui était déjà un personnage volontairement caricatural, donc là on tombe presque dans le mauvais goût), avec des dialogues trop « écrits », à savoir des punchlines bien assassines surlignées au stabilo dans le script et scandées haut et fort pour aller désespérément chercher le rire. Beth Ann, en femme au foyer des années 60, est un pur remake de Bree Van de Kamp et son mari un Rex en puissance (jusqu’à l’adultère).
Le contraste entre l’univers carte postale ultra-coloré et le récit blindé à l’humour noir et aux vannes en dessous de la ceinture n’est plus aussi détonant que dans les années 2000. C’est aujourd’hui un mashup devenu banal et présent dans bon nombre de séries. Et pourtant, Marc Cherry s’obstine à vouloir en faire quelque chose d’explosif. Mais le naturel n’y est plus, l’assemblage ne prend pas, son gros gâteau au glaçage rose bonbon et à l’intérieur amer n'est pas une surprise. Il est même indigeste parce qu’on en a déjà bouffé des dizaines.
Il surenchère toutes les 10 mn son récit en rappelant qu’un meurtre va bientôt être commis, et on sait tous qu’il n’aura lieu qu’au dernier épisode et que l’on va se farcir des histoires de couple ultra conventionnelles jusque-là, avec des personnages masculins machos pour mettre sur la table un discours féministe bien rodé faussement engagé, des ménagères à la vie bien proprette qui voient leur petit monde explosé et des événements abracadabrantesques pour essayer de nous surprendre, sachant que quoi qu’il arrive, on aura déjà vu ça quelque part ailleurs.
Le couple du XXIe siècle est sans doute la seule touche d’originalité du show, mais déjà prévisible à 300 km : Oui, on sait que cela va finir en triangle amoureux avec un crime passionnel à la fin. Le seul mystère : qui tue qui ? Et faire tenir la réponse à cette simple question sur 10 épisodes, c’est de la pure manipulation.
Des scénarios où une femme au foyer des 60’s se questionne sur son indépendance si elle quitte son mari infidèle, il y en a à la pelle. Idem pour les femmes qui découvre l’homosexualité de leur mari. Tous les thèmes ont déjà été surexploités. La seule nouveauté que Marc Cherry a à nous offrir, c’est ce petit voyeurisme final, qui se veut jouissif. Mais nous faire patienter 10 épisodes juste pour ça donnera forcément un rendu décevant.
La série ne saura convaincre que les nostalgiques. Même pour une série sans prétention, je n'ai décroché que deux/trois rires au détour de punchlines assassines. La verve de Marc Cherry n'a certainement pas disparue, mais son ambition, si ! Il ne sait plus prendre de risque. Et c'est bien dommage car l'idée était plutôt originale, à savoir de proposer trois décennies différentes avec des moeurs tout aussi différentes. Mais il préfère se reposer paresseusement sur ses acquis en se contentant de remixer sa tambouille, nous donnant l'impression de voir une série de fin des années 2000.
Dans le même esprit, bien que le registre et le traitement soient très différents, je conseille plutôt Big Little Lies, qui elle est dans l'air du temps, traite son sujet en profondeur tout en brassant les genres d'une main de maître.