Documentaire tourné par la paire étasunienne Aaron Aites et Audrey Ewel, Until The Light Takes Us, titre tiré d'une traduction volontairement erronée du quatrième album de Burzum, Hvis lyset tar oss, s'intéresse à l'histoire du black metal du début des années 90, en suivant tout particulièrement deux musiciens ayant contribué à l'essor et à la naissance du mouvement : Gylve "Fenriz" Nagell de Darkthrone et le controversé Varg "Count Grishnackh" Vikernes de Burzum. Tourné en immersion, le duo ayant vécu deux ans en Norvège pour les besoins du tournage, le film revient également sur les évènements extra-musicaux, faits divers tragiques, qui ont secoué la Norvège à cette époque à travers les témoignages d'une partie des protagonistes de cette période.

Amateurs de la scène expérimentale Lo-Fi, Aites et Ewel ont découvert sur le tard le black metal norvégien. Mention utile à préciser en préambule tant les deux américains font, volontairement ou non, nullement mention aux premiers précurseurs du genre à savoir Hellhammer / Celtic Frost et Bathory. Until The Light Takes Us n'a pas l'ambition de retracer précisément l'historique du genre. Les plus pointilleux pourront dès lors regretter l'absence de plusieurs groupes notoires ou la faible participation d'autres (Immortal par exemple). Encore que ces oublis ou figurations peuvent aisément s'expliquer : pas certain que Samoth d'Emperor veuille revenir sur un passé peu glorieux et ses années d'emprisonnement (pour incendie d'église), quant à Olve "Abbath" Eikemo et Harald "Demonaz" Nævdal d'Immortal, bien qu'ayant côtoyé Vikernes lors de leur début death metal (sous le nom d'Old Funeral), le duo a toujours été en marge de la scène locale ou des errements de l'Inner circle.

Plus réservé paradoxalement au grand public qu'aux amateurs du genre, le documentaire explique (trop brièvement) les raisons qui ont poussés ces jeunes scandinaves à créer cette musique extrême, au-delà des modes du moment. Une « musique sans âme » symbolisée par une production Lo-Fi, ce qu'on appellera le « necrosound », ou la quintessence du son le plus pourri, nihiliste, héritage des jeunes années de la première formation norvégienne, Mayhem et leur EP culte Deathcrush (1987). Until The Light Takes Us rappelle ainsi l'influence primordiale qu'a pu avoir Mayhem, et en particulier, celle du chanteur Per "Dead" Ohlin, initiateur de l'utilisation de la peinture cadavérique, le corpsepaint, et d'un comportement brutal sur scène, et celle de leur guitariste Øystein "Euronymous" Aarseth, inventeur du riff BM, patron du label Deathlike Silence et propriétaire d'un magasin de musique à Oslo, lieu de rendez-vous de la scène BM locale.

Portrait de deux figures incontournables du black metal, le film propose surtout deux visions devenues au cours du temps sinon antagonistes, du moins incompatibles, les deux hommes ayant à leur début collaboré ensemble. Sur ce point, la neutralité des deux américains n'est pas exempt de reproche concernant le traitement du cas Vikernes. Certes, à l'image des propos homophobes d'un Jan Axel "Hellhammer" Blomberg, Aites et Ewell ne cachent en rien les zones d'ombre du BM (meurtres, suicide, incendies), mais fallait-il laisser l'assassin d'Euronymous plaider de manière biaisée et unilatérale sa cause. Difficile de ne pas être atteint de malaise quand on connait un minimum les faits. L'homme se présente comme le chantre d'un paganisme anti-chrétien, justifiant les incendies d'églises et l'assassinat d'Euronymous par légitime défense. La pilule passe mal. Quant aux idées nauséabondes auxquelles se rattache Vikernes, le documentaire n'en fait aucune mention.

Until The Light Takes Us laisse un sentiment très mitigé. Aites et Ewell restent à la surface de leur sujet. Les tribulations de Fenriz apportent peu, tout en ayant toutefois l'avantage de casser le mythe du black metalleux. L'absence de révélations ou de véritables anecdotes n'est pas en soit rédhibitoire, mais sans doute attendions plus qu'une énième énumération de faits divers (quand bien même ils appartiennent à l'histoire du BM norvégien de la première moitié des 90's). La parole à des experts auraient sans doute apporter un contrepoint appréciable, les musiciens interviewés n'étant pas tous des plus intéressants (la palme revenant donc à Immortal). Reste une excellente bande-originale entre grands noms du black metal et dark ambient.
Claire-Magenta
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le 10 mars 2014

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Claire Magenta

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