C’est un bien triste constat que cette difficulté sans cesse croissante de trouver de nouveaux films de dinosaures dans les lointains sous-sols de la série B. Arrive un temps, après de longues excursions dans des contrées improbables, peuplées de lézards déguisés et de marionnettes d’écailles étrangement animées, où le monde inexploré s’avère dangereusement réduit et où la place vient à y cruellement manquer pour le gigantisme animal des imaginations les plus besogneuses.
A ce moment là, quelqu’un dans l’assistance se lève et rappelle, tempêtant, combien le cinéma est encore jeune, et combien son potentiel à produire des merveilles sauriennes est encore grand. Mais rien aujourd’hui n’attise mon affection comme les reptiles d’antan, rien aujourd’hui ne me promet des rêveries comme celles tissées par les mondes perdus des deux premières moitiés du 20ème siècle. Et c’est une sincère tristesse mêlée à un espoir fébrile que de devoir économiser les quelques découvertes encore à faire dans le domaine, comme un dernier trésor témoin d’un émerveillement en voie d’extinction.
Oh il reste bien peu de stop-motion à l’horizon, technique divine réservée aux plus nobles artisans de mondes perdus, art prométhéen qui voit naître ces merveilleuses créatures de griffes et de crocs au creux de mains savamment affairées. Quelques films en costumes encore pour sûr, entre du classique kaiju-eiga préhistorique tel Les Monstres de la préhistoire aux productions occidentales plus surprenantes encore comme L’Oasis des tempêtes. Et des slurpasaurs. Ils vont me manquer les slurpasaurs, car Valley of the Dragons est à coup sûr l’un des tout dernier qui, par quelque étrange circonstance, restait pour l’heure encore inexploré par ma personne pourtant dévouée au genre.
A un moment, un de vos sourcils s’est levé alors que pris par la passion, j’utilisai le terme “slurpasaur”. Un slurpasaur, c’est davantage une technique de leurre qu’une espèce animale. Un leurre parfaitement grossier et témoin d’un délicieux charme suranné, croyez-le bien. Les slurpasaurs sont ces lézards tout à fait normaux, iguanes, geckos et autres lézards communs que l’on va affubler de cornes de pacotille, de crêtes branlantes ou de collerettes en carton pour simuler de vrais sauriens antédiluviens. Qui ne se souvient pas des merveilleux iguanes-dimétrodons du Voyage au centre de la Terre de Henry Levin ou des lézards-tricératops du Monde perdu de Irwin Allen ? Anthologique pour sûr.
Adapté de Hector Servadac de Jules Vernes, Valley of the Dragons montre de prime abord de biens jolis atours avec ses personnages tout à fait sympathiques, son histoire directement prenante et sa belle promesse d’aventures riches en lézards des ses premières minutes. Bien-sûr, les slurpasaurs sont l’élément le plus attachant de l’ensemble, parcourant le métrage de bout en bout dans leur plus sobre élément, sans attributs particuliers, se contentant de mouvoir leurs silhouettes reptiliennes de simples lézards ou d’iguanes massifs dans des intégrations à l’écran tout à fait respectables, faisant croire aux esprits les plus aventureux à des animaux titanesques, organisés en meutes, certes un peu statiques, pour traquer leurs proies.
Et j’aurais adoré adorer ce film, le plus sincèrement du monde, et poursuivre cette belle impression qu’il me laissait en continue tout au long de ses déclarations d’un enthousiasme d’adoption, chapardé à d’autres surement plus inventifs. Car en réalité, Valley of the Dragons est un de ces films patchwork qui construit toute sa générosité sur les restes d’autres films, ces “stock footage” bien pratiques permettant la création d’hybrides à profusion. Déjà, lorsque Rodan ramène sa fraise dès les premières scènes du film, puis lors d’une éruption volcanique, on commence à s’interroger sur ce qu’on croit n’être qu’une étrange inspiration. Puis on retrouve la scène d'alligator déguisé la plus célèbre au royaume des films de dinosaures issue du premier One Million B.C.. Le reste est plus discret, savamment repompé sur des films plus obscurs qui, eux-mêmes ne proposaient que des images somme toute assez classiques pour l’époque, entre sauriens voraces et araignées géantes.
On le connaît ce procédé, il est énervant, particulièrement quand le produit final révèle un assez beau matériau de base qu’il est bien difficile de détester, même remâché, redigéré et recraché ici, sur cette pellicule de fortune. Parce-que le pire c’est que le montage est assez bien pensé et parcouru par des personnages si impliqués dans leurs rôles qu’on se laisse facilement prendre au jeu et que l’ensemble montre une jolie cohérence et une subtile montée en tension qui font de Valley of the Dragons un bel exemple de film de slurpasaurs qu’on ne boude au final qu’à moitié. Reste plus qu’à dénicher les matériaux d'origine, One Million B.C., King Dinosaur et Cat-Women of the Moon, pour la plupart faisant partie de ces quelques films que je convoite avec parcimonie, dans les bien trop rares découvertes qu’il me reste à faire dans le domaine. Un monde perdu, discrètement tapi dans mes envies ciné et gardien de mon émerveillement.