Yoshiaki Kawajiri est un réalisateur aujourd'hui assez méconnu (en tout cas du grand public) et quelque peu sous-estimé (me semble-t-il), alors que, à y réfléchir sérieusement, celui-ci est sans doute un des tous premiers réalisateurs (si ce n'est le plus grand? en tout cas un grand innovateur) en matière de films d'action / de combats, et en particulier dans leur versant "mâture" (c'est-à-dire ne reculant ni devant le sang, ni devant le sexe). Il a été un pilier du studio Madhouse pendant des décennies où il a fait les beaux jours du marché des OAV, et des réalisateurs comme Takeshi Koike (de façon certaine puisque les 2 réalisateurs se sont croisés sur de nombreuses productions au sein du studio Madhouse, et Koike partageant l'amour de son aîné pour les cadrages, les mises en scène et les chara-design classieux) mais aussi, à mon avis, quelqu'un comme Hiroyuki Imaishi (avis plus subjectif, mais qui fait sens du fait de la capacité commune aux deux réalisateurs à atteindre des sommets de coolitude en usant d'une animation "limitée" jouant danvantage sur des ruptures visuelles nettes et des successions d'instantanés que sur la fluidité de l'animation en tant que telle) lui doivent de toute évidence énormément.
Si l’œuvre la plus connue de Kawajiri reste sans aucun doute son cultissime Ninja Scroll (1993), le réalisateur a cependant une autre énorme pépite à son répertoire en matière de long métrage avec ce Bloodlust (2000), anime bluffant de part en part! Reprenant une franchise qui avait déjà été adaptée assez médiocrement dans les années 1980, le style de Kawajiri est ici à son apogée et fait merveille, soutenu par un chara-design de toute beauté. On ne compte plus le nombre de cadrages et de plans audacieux et spectaculaires; le travail sur les décors et sur la composition des plans est lui aussi aux petits oignons (cf. l'impressionnant château de la dernière partie du film, à la magnifique architecture), les combats palpitants comme toujours avec Kawajiri. Ce dernier en profite également pour instiller dans l’œuvre tous les éléments de ce "romantisme morbide" qu'il semble tant apprécier tant ils sont récurrents au fil de ses œuvres (femmes fatales, amours impossibles, tension amour/mort, décès de la femme aimée, etc.).
Surtout, on admire la capacité du réalisateur à littéralement transcender des univers et des scripts à la base assez douteux - ici un mélange étrange de western, de science-fiction mais aussi de fantasy (le peuple de magiciens) et de folklore européen (les vampires!); bref un de ces mélanges dont seuls les Japonais semblent avoir le secret. Mais rien de ridicule ici, l'univers présenté tient étonnamment bien la route: tous les personnages puent tellement la classe, les interactions sont si naturelles et l'univers si peaufiné, que ce qui aurait très bien pu sombrer rapidement dans le risible ou passer pour une accumulation indigeste de lieux communs d'origines très disparates passe comme une lettre à la poste, fournissant un beau contexte à ce qui reste l'enjeu central du film, soit de beaux combats exaltants et esthétiquement mémorables. Mais bon, est-ce si étonnant lorsque l'on sait que Kawajiri était par le passé parvenu à mettre en valeur des univers et des persos autrement plus médiocres à la base (je pense notamment à son adaptation respectable en 1989 d'une franchise sans grand intérêt sur le papier comme Midnight Eye Goku de Buichi Terasawa. Et rendre classe à mes yeux un héros qui a décidé de se balader tout le temps torse-nu sans aucune justification, il faut quand même le faire!)?
Pour conclure, on peut dire que ce film a été un véritable jalon (quasiment indépassable?) pour tous les univers mettant en scène des "chasseurs de vampires", qui a immédiatement rendu tous ses prédécesseurs totalement has been, avant d'être logiquement imité maintes et maintes fois dans les productions du même genre qui ont suivi. A regarder d'urgence donc pour les chanceux qui ne l'auraient pas encore fait. Le film est d'ailleurs sans doute plus accessible que Ninja Scroll, car tout de même moins gore et moins sexuellement explicite (pour ceux que ça dérangerait) que son prédécesseur.