Il est étonnant de voir que John Carpenter n'a jamais abordé frontalement un genre qui a pourtant irrigué l'ensemble de sa filmographie. Passionné par le western et idolâtrant notamment les oeuvres de Howard Hawks (de son propre aveu, son idole), le cinéaste en aura régulièrement utilisé les composantes dans ses différents films fantastiques. Ainsi, plus ou moins évidemment, Assaut, Fog, Escape from New York et sa suite, Prince des ténèbres, Invasion Los Angeles, Vampires et Ghosts of Mars, sont des oeuvres qui recyclent plusieurs figures archétypales du genre. Bâtisse cernée par des hordes d'agresseurs sans visages (Assaut, Prince des ténèbres, Ghosts of Mars), anti-héros solitaires en marge du système (New York 1997, Assaut, They live), décors minimalistes et villes désertes (New York 1997, Assaut, Prince des ténèbres, Vampires), tous ces éléments désignent Big John comme un authentique cinéaste du genre et ce, malgré l'absence de tout véritable western dans sa filmo. Pourquoi donc n'a-t-il jamais pu franchir le pas ? On peut supposer quelques rendez-vous manqués, des contraintes budgétaires trop importantes, un désintérêt progressif des producteurs et du public pour le genre dans les années 80 et 90, ou plus simplement le voeu du cinéaste de se détourner des intrigues d'époque pour leur préférer une modernité ou la promesse de quelques futurs hypothétiques aptes à soutenir ses précieuses critiques sociales.


Quoiqu'il en soit Vampires lui donna en 1998, l'occasion de réaliser ce qui se rapproche le plus d'un authentique western tout en abordant pour la première fois la figure archétypale du vampire, alors très à la mode dans le panorama cinématographique de l'époque. Ressuscité par le Dracula de Coppola (film qui fut d'ailleurs confié à Carpenter avant que les producteurs le remercient), magnifié par les morts-vivants romantiques de Neill Jordan et Anne Rice (Entretien avec un vampire), savoureusement détourné par Rodriguez et Tarantino (From dusk till dawn) et les comics movies (Blade), le vampire n'attendait finalement que le retour de Big John aux affaires pour reconquérir son statut de mort-vivant impitoyable, plus proche du prédateur bestial que du héros mélancolique et sensuel. On est ici à des lustres des questionnements existentiels d'un Lestat d'un Lioncourt et plus proche des errances nocturnes et meurtrières du gang vampirique de Near Dark. A ceci près que Carpenter se sert surtout ici des créatures de la nuit comme de simples motifs allégoriques, aptes à renforcer l'ambivalence de sa vision, et ce en épousant uniquement les points de vue de ses "héros" humains. Pour ce faire, le cinéaste s'inspire d'un roman de John Steakley (Vampire$) et en reprend une grande partie du propos, jetant un regard critique sur une humanité déjà rendue monstrueuse par le dieu dollar et sur l'hypocrisie des institutions religieuses corrompues (Maximilian Schell tout en regard fou et en sourire carnassier incarnait là un formidable salopard), qui soudoient des tueurs pour enrayer la prolifération de créatures sanguinaires tout en voulant secrètement s'en attribuer les pouvoirs.


Fidèle à son modèle, Carpenter cherche alors moins à susciter la peur inspirée par les créatures vampiriques qu'à mettre à l'index l'ambiguïté des humains qui les traquent. La scène d'exposition donne ainsi le ton : réduit à la plus grande vulnérabilité durant le jour, une meute de vampires est réveillée et cruellement massacrée par une horde de chasseurs de goules. Le carnage est brutal, presque choquant, les créatures de la nuit, au-delà de la crainte inhérente qu'elles inspirent, y sont surtout présentées comme des créatures pitoyables, luttant coûte que coûte pour leur survie à l'abri du jour. Et les humains eux comme d'authentiques enfoirés dénués d'âmes, des mercenaires sans vergognes qui témoignent par leur cruauté d'un univers en totale décomposition (on ne verra presque rien de la civilisation humaine dans ce film si ce n'est un hôtel et un monastère, aucun repère évident sur la santé du monde environnant). Les valeurs morales (là aussi propres aux westerns classiques) sont totalement annihilées dès les premières minutes du métrage, déstabilisant de surcroît les attentes du spectateur. A des années-lumières de la figure héroïque, même si charismatique en diable, le chef de cette horde d'assassins humains, Jack Crow (excellent James Woods), n'est rien d'autre qu'une brute dénuée de spiritualité, sans aucune attache aux êtres qui l'entourent mais habité par une soif de vengeance qui le rend tout aussi, sinon plus redoutable que les vampires qu'il traque. Le massacre de son équipe en représailles par Valek l'isole un peu plus des vivants et ajoute à sa portraiture ambivalente les défauts d'un homme foncièrement violent lorsqu'il se voit contraint de faire équipe avec un homme d'église, son parfait opposé et aussi plus proche référent du spectateur. Une grenouille de bénitier que le chasseur de vampires malmènera du mieux qu'il peut avant de le prendre en sympathie et de s'en faire un allié dans sa traque vengeresse.
A l'autre bout du métrage, son fidèle bras droit, Tony Montoya (Daniel Baldwin, mouais...), se charge de la protection de Katrina (Sheryl Lee), une prostituée mordue par Valek et qui représente leur seul espoir pour retrouver la trace du maître des vampires. Mordu à son tour par sa protégée, Montoya se sait alors condamné à rejoindre les rangs des monstres qu'il traque et devenir un jour ou l'autre la proie de son impitoyable mentor. Face à eux, Jacen Valek (Thomas Ian Griffith) représente à lui-seul l'archétype du seigneur des ténèbres, vénérés en maître par ses enfants de la nuit, comme une sorte de chef de gang suivi à l'aveugle par ses sbires "hors-la-loi". Chacune de ses interventions, peu loquaces et un rien théâtrales, restituent à la figure vampirique la dangerosité que l'on en attend : ses mises à morts sont brutales, impitoyables et particulièrement gores et il se dégage du personnage une inquiétante noblesse propre à le rapprocher de son plus illustre cousin de Transylvanie.


Tous les personnages de Vampires auraient ainsi pu volontiers s'inscrire dans une intrigue de pur western, d'autant plus que le cadre des événements (l'essentiel du film prend place dans les étendues désertiques du sud de la Californie, privilégiant bicoques isolées et patelins d'un autre temps) renforce pleinement la filiation. Il est alors regrettable que le style de mise en scène de Big John, clairement limité par des contraintes budgétaires, manque parfois d'assez de punch pour magnifier pleinement cette croisée des genres. Le cinéaste s'en remet même à quelques astuces de montage pour dynamiser sa mise en scène, usant souvent d'ellipses et de ralentis grossiers (il le faisait déjà dans Los Angeles 2013) qui témoignent d'une certaine facilité. Pour autant, le gonze sait encore composer des plans de toute beauté et environner ses personnages d'une atmosphère inquiétante.
A nouveau seul en charge de la musique, Carpenter compose une bande-son atmosphérique et mystérieuse, renforçant ce côté "far west sauvage" par ses sonorités folk-rock que viennent parfois contrebalancer motifs orchestraux et lignes de synthé entêtantes (le morceau Katrina bites). Le thème héroïque en particulier, qui ouvre le film sur un travelling avant sur le visage impassible de James Woods, demeure une des compositions les plus remarquables du cinéaste.


Sorti durant une période où la figure vampirique nourrissait toutes sortes de productions (Blade, Buffy), Vampires ne remporta pas un grand succès. Il fut largement redécouvert à sa sortie vidéo mais n'a jamais conquis le même statut cultissime que la plupart des classiques signés par son auteur. Celui-ci n'y revint que pour produire une fausse suite dtv (confiée à son ami Tommy "Ça" Lee Wallace) à la qualité quelque peu discutable. Le film suivant de Big John, Ghosts of Mars, s'il recycle aussi les codes du western dans un contexte de pure SF, témoignera quant à lui d'une certaine lassitude de son auteur pour un cinéma qu'il n'arrivera plus à transcender. En ce sens, Vampires peut certainement se voir aujourd'hui comme le dernier grand film du maître.

Buddy_Noone

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