Le subconscient est une matière première cinématographique qui décuple la créativité des auteurs. Tout cinéaste a sa propre définition de l’imagerie même de l’esprit, de son ouverture vers un monde encore trop complexe pour la technologie humaine. C’est alors que l’imagination y trouve une place prépondérante. Que cela soit par le prisme des souvenirs chez Michel Gondry avec Eternal Sunshine of Spotless Mind ou la frénésie inventive chez Satoshi Kon avec Paprika , le cinéma aime toucher du doigt le voyage initiatique qui s’immisce vers le cerveau humain.
"Vanishing Waves" oscille entre film de science-fiction ou film d’anticipation. Mais il est difficile de mettre des mots sur une œuvre aussi hybride que celle-ci. A l’instar d’un Solaris, Vanishing Waves ne joue pas la carte du spectaculaire mais au contraire, l’œuvre utilise ses faibles moyens pour reconstituer une vision toute personnelle de l’onirisme à travers un amour impossible et la matérialité du corps à travers l’inconscient. Le plus étourdissant dans Vanishing Waves est cette fameuse idée de cinéma de faire rencontrer deux esprits l’un dans l’autre par la symbiose de la chair, des corps qui se chevauchent et qui s’emboitent pour ne faire quasiment qu’un.
Car Vanishing Waves pose ses canons autour d’un point de départ froid et scientifique pour s’éloigner vers des contrées fantasmagoriques : un scientifique (Lukas) fait une expérience neurologique en entrant dans l’esprit d’une comateuse (Aurora) par le biais de diodes installées sur son crâne pendant qu’il hiberne dans une chambre presque « amniotique ». Sauf que durant l’expérimentation, il va rentrer dans son esprit, voir ses souvenirs, interagir avec elle et tomber amoureux d’elle. C’est alors la psyché humaine qui se dédouble, créant de surcroît un monde aussi invisible que charnel : une représentation pixelisée sur les écrans des scientifiques, mais un imaginaire bien « réel » dans l’esprit de Lukas.
Une sensation de vivre une histoire aussi intime qu’intense qui n’est pas sans rappeler Inimité de Patrice Chéreau : sans mot, sans dialogue, deux corps qui ne se connaissent pas s’adonnent à une sexualité libératrice. Une osmose qui multiplie les sens. Et pour cela, Kristina Buozyte a un certain talent pour donner une âme à ces danses érotiques, cette promenade charnelle vers les limbes, cette juxtaposition des peaux qui font écho aux cinémas de Claire Denis ou Philippe Grandrieux. Elle use d’un expressionnisme fin et délicat (ce soleil en forme d’iris ensanglanté ou cet œil qui se dilate) .
La première rencontre se fait par un premier baiser sur l’eau matricielle, puis la deuxième dans une maison labyrinthique dont l’architecture témoigne de l’esprit fracturée d’Aurora puis une autre dans les loges d’une orgie enivrante pour finir par une course nue sur la plage. La passion est là, est dévorante et se plie à bande sonore symphonique de Peter Von Poehl qui fait déchanter le réel sachant que Lukas n’aime plus sa compagne et qu’il lui était interdit de rentrer en « contact » avec la patiente durant l’essai clinique.
Par ce biais, Kristina Buozyte donne un suspense à son récit sans l’ankyloser. Certes la partie réelle est moins forte dans son interprétation, moins trépidante dans sa léthargie distante que la partie imaginaire mais la réalisatrice arrive parfaitement à faire cohabiter les deux sans que cela nuise à la beauté plastique de Vanishing Waves.
Vanishing Waves est l’anti Inception : là où la rationalité et la maîtrise de Nolan fortifiait son univers, Kristina Buozyte accouche d’une œuvre indépendante qui trébuche mais qui donne à l’esprit le droit de connaitre l’extase de la jouissance, sculptant les émotions comme des corps attirés par des aimants dans l’inconsistance de son mystère. Vanishing Waves est un peu la science-fiction vue par l’essence contemporaine de Pina Bausch, se finissant par un dialogue mutique entre Lukas et Aurora : délivrant la puissance rédemptrice des mots.