« There’s no beauty here, only death and decay »
Après La Féline et avant Rendez-vous avec la peur, Tourneur explore le fantastique de l’ailleurs. Les Antilles, c’est l’univers à la fois exotique, paradisiaque et d’une violence secrète : celle de l’esclavage et de la colonisation. L’arrivée opportune d’une infirmière, nouvelle venue candide, va être l’occasion d’une initiation multiple : à l’amour, à la maladie, et surtout à l’autochtone, cet autre pourtant séculairement chez lui.
Tourneur complexifie ici les rapports entre les personnages par l’instauration d’un quatuor amoureux, où tout se joue entre deux frères et leur lien à deux archétypes de femmes : la belle innocente altruiste, et la statue d’une beauté froide et atemporelle.
Autour de ce microcosme névrotique et passionnel, la nature mystérieuse de la lisière fonctionne comme l’exacerbation des passions vers l’irrationnel : au rythme de lancinants tam-tam qui scandent des cérémonies opaques, les personnages se dévoilent et se laissent attirer par la nuit et l’occulte.
Au centre, la figure de la mère, monstrueuse et respectable, nœud tragique autour duquel tout gravite.
Tourneur, à son habitude, exploite au mieux l’éclairage et la vision de l’extérieur pour susciter l’effroi : c’est la limite d’un champ de canne, la porte d’une tour, ou l’inerte d’objets effrayants, à l’image de cette proue de navire, syncrétisme du christianisme (St Sebastien) et de l’histoire locale, transformée en une inquiétante fontaine. Le parcours des personnages vers les profondeurs de la forêt, vers la révélation d’un monde qui restera opaque et se finira dans l’infini des vagues, boucle admirablement le programme initial : alors qu’elle contemplait la beauté du paysage exotique, son hôte s’échinait, dès le départ, à expliquer que toute cette harmonie n’était que la vision, flamboyante certes, d’une mort en cours.
Tragédie, policier, ce récit d’une forte densité (68 minutes) confirme le talent rare du réalisateur dans un registre finalement peu souvent exploité avec autant de justesse et de retenue.