C'est tellement compliqué de vouloir être juste dans un océan d'injustices qui s'enchevêtrent, qui s'accumulent et s'entremêlent. Je me dis que ce monologue final est une promesse que n'importe quel esprit critique fait en son for intérieur - la promesse de donner et de regarder l'impact de son action. Vous savez, si on commence à emmerder les ONG comme Action contre la Faim parce qu'on a plus foi en elles, l'étape suivante c'est celle où chacun se prend en main et relève la tête pour demander des comptes et puis peut-être être dans une position de pouvoir, agir sur les causes, par exemple, de la faim. L'étape suivante, à mon sens, c'est celle où l'on exige, au nom de l'humanité, la rationalité des systèmes de productions et la transparence des comptes (fin de la concurrence, fin du profit, fin de la propriété...). Si Ferrari ne donne pas de voie à suivre, sa dénonciation me paraît tellement profonde qu'elle touche les tréfonds du système capitaliste et impérialiste.
S'il a un rôle autre qu'humoriste - et franchement on ne peut pas retirer à un humoriste d'être plus qu'un bouffon qui fait de la pub pour une banque - c'est sans doute celui de susciter le dialogue entre soi et soi afin que surgisse un instinct de vérité. C'est sûrement pompeux pour tous ces gens qui choisissent de vivre leur vie de manière telle qu'elle se présente à eux... et puis un jour, on bouffe la dernière crise et puis on met son gilet jaune sur un rond-point un soir de Noël. Il y a quelque chose de socratique dans son action et c'est éminemment salutaire. Salutaire est aussi le petit dossier que Ferrari propose de télécharger concernant les sources du spectacle.
Elle est compliquée cette place de l'humoriste qui fait passer ses convictions personnelles. On regarde toujours la ligne qu'il va prendre qui va décider quelle position, nous, on va prendre par rapport à celle-ci. Elle est compliquée cette place. Tu en auras toujours pour dire que ce n'est pas le rôle de l'artiste que de capitaliser sur l'esprit de dénonciation, avec toujours ectte impression que la dénonciation est un marché comme les autres. Elle est compliquée parce qu'on est toujours à l'affût, en train de se dire "ah tu vois, là, il force le trait !". Hé bien, de se dire tout cela à la fois, je ne peux que trouver audacieux cette démarche qui font souvent les grandes œuvres personnelles. Je suis très heureux de pouvoir suivre cet humoriste tout au long de mon existence.