Sous une apparente banalité Walid Mattar nous offre une œuvre intelligente et chaleureuse dont la force principale est que la fiction colle au plus près d’une réalité désormais devenue invisible ou presque. Il juxtapose deux destinées jumelles, toutes deux frappées par la dureté des temps qui courent (mondialisation, bouleversements géopolitiques...), l'une au nord de la France (Pas-de-Calais) l'autre au sud (Tunis).
Au spectateur de percevoir, avec ce récit en contrepoint, le quotidien d'Hervé et celui de Foued, si différents et pourtant semblables.
Hervé habite à Wimereux proche de Boulogne sur Mer ("la ville au grand air... aux grands airs désenchantés"(*), l’usine dans laquelle il travaille depuis 34 ans se délocalise à Tunis ("la capitale éblouissante d'Arlequin" selon Maupassant), où Foued occupera son poste. Mais tous deux aspirent à autre chose…
Ce filmé vrai place d’office « Vent du Nord » comme une œuvre attachante. Nous sommes loin des atermoiements d’un Kechiche (et son goût démesuré pour la victimisation) et à a des années lumières d’un Dumont et de son mépris affiché pour les « petites gens ». Ce qui l’intéressait, et le point de vue est particulièrement intéressant, c’était de montrer que d’un pays à un autre, le quotidien soumis à la précarité ne différait que très peu révélant une sorte d’universalité. Cela passe par les relations sociales (cafés entre autre), la lourdeur administrative (créer son entreprise), la relation à l’autre (maintien du noyau familial, couple) mais surtout le courage (vouloir aller de l’avant même en prenant des risques).
En quelques scènes, on passe des attentes à la désillusion puis toujours sous-jacent à l’espoir qui passe d’une résignation temporaire ou à la fuite en avant. Même si le tout est assez linéaire, le croisement des deux histoires s’orchestre parfaitement grâce à des transitions simples, mais pertinentes conférant au récit un bel équilibre. Le choix de la mer comme fil conducteur est intéressant, elle n’est jamais très loin pour les deux et se veut rassurante. Elle forme de plus lien invisible entre ces deux hommes qui ne se rencontreront pas.
J’ai particulièrement apprécié la façon dont Walid Mattar a filmé les gens et la région boulonnaise (qu’il a découverte peu avant le projet du film). Alors oui les A sont un peu gras dans les discussions, oui on chante des chansons à boire (« La mer monte" de Raoul de Godewaersvelde), mais à travers ces quelques images et plans c’est toute la quintessence de la Région qui est dévoilée et ce qui fait sa force, son humanité et sa dignité. Nous sommes très loin du cliché « biloutien » de Boon ou de la vision digressive de Dumont. Bien que ne connaissant pas Tunis, je ne doute pas qu’il ait porté à cette ville la même acuité. Walid Mattar est bienveillant.
Enfin, et c’est la plus grande réussite du film, tous les acteurs sont extra ! Bien évidemment on salue la prestation de Corinne Masiero (au rôle trop court hélas) et celle de Philippe Rebbot (touchant et grave comme on le voit peu). Mais c’est surtout Mahamed Amine Hamzaoui et Kacey Mottet Klein que l’on remarque le plus. Le premier au visage illuminé de tendresse apportant fraicheur et vigueur à Foued, le second en fils des Lepoutre confirme qu’il est désormais plus qu’un espoir, mais un acteur qui compte et qui fera une belle carrière.
Ce « Vent du Nord » est donc un premier long métrage réussi, malgré quelques petites maladresses. Il touche au cœur par sa spontanéité et comme le dit Wittgenstein, « les aspects des choses les plus importantes pour nous sont cachés du fait de leur simplicité ».
(*) Extrait d’une chanson du documentaire « Chante ton bac d’abord »