Nanni Moretti met beaucoup de lui dans ce film, comme d'habitude d'ailleurs. Il se dépeint avec légèreté et drôlerie tout en donnant également sa vision du cinéma, tel qu'il devrait être, du moins : généreux, universel, émancipateur, porteur d'espoir. Mais en même temps, c'est un bilan en demi-teinte, amer voire acide, auquel on assiste.
C'est avec une certaine réjouissance que l'on assiste dans un premier temps au portrait d'un réalisateur et scénariste complètement immergé dans sa création, tant et tant qu'il ne voit pas que sa femme, qui va mal, étouffe, voit un thérapeute, veut le quitter ; que ses rituels obsessionnels ennuient profondément sa famille, qui s'y soustrait dès qu'elle le peut ; que lui-même est en décalage complet avec le monde actuel - aussi fou et bête soit-il, ce monde, d'ailleurs. La séquence chez Netflix en est un bon exemple. C'est un créateur, donc un névrosé. Mais il a de la superbe : il peut donner des leçons - ce qu'il ne se gêne pas de faire, quitte à décaler le tournage de la dernière scène d'un film qui n'est même pas le sien du soir au lendemain matin, parce qu'il improvise une master class fantaisiste afin "d'améliorer" cette scène, ce qui ne sera pas en fin de compte.
A travers ce personnage, c'est une certaine idée du cinéma qui se dévoile, celle d'un cinéma exigeant qui souhaite signifier quelque chose, où rien n'est laissé gratuitement. Le film du jeune réalisateur dont il souhaite refaire la scène dernière en est le contre-exemple : c'est de la violence et du grand spectacle sans grande réflexion, avec hémoglobine à gogo, coups de feu et grosses voitures vrombissantes lancées dans des courses-poursuites effrénées. Mais Moretti ne fait pas que critiquer et ébaucher des films épouvantails : il livre aussi une réponse non plus en creux mais concrète de ce à quoi un film doit ressembler. En effet, c'est tout l'enjeu du film que Moretti réalise sur la venue d'un cirque hongrois dans une cité ouvrière de Rome au moment de l'insurrection de Budapest en 1956 et sur l'émancipation d'un chef de section communiste locale face au PC italien en refusant l'alignement sur Moscou. Et c'est aussi ce que signifie la grande parade finale, heureuse, très communiste bon teint, où chacun des protagoniste défile avec le sourire aux lèvres.
Mais avec tout ce qui a été dit, tout ce qui a été montré, on a du mal à croire, à la suite même de Moretti, à cette vision du cinéma : oui, il peut être émancipateur ; oui, il peut donner de l'espoir ; oui, il peut fédérer ; cependant, gare au sourire de carton pâte qui, en tâchant de donner le change et de faire illusion, cache un profond désespoir. Derrière la bouffonnerie se dissimule la noirceur. Moretti le prouve avec finesse.