Les endeuillées, à la dérive immobile

Un père est mort. De lui, ne subsiste que l’ombre, manifeste à travers la sonnerie de son téléphone portable qui retentit de loin en loin, sous l’effet d’appels commerciaux tentant aussi obstinément que vainement de joindre « le propriétaire de la ligne »... Toutefois les deux femmes, épouse et fille, que ce « propriétaire » laisse derrière lui n’ont pas eu le courage de couper ce fil...


Avec beaucoup de délicatesse et de subtilité, la réalisatrice et scénariste espagnole Celia Rico Clavellino brosse le portrait de ces Parques réduites au nombre de deux et qui préfèrent visiblement coudre et recoudre - la mère est couturière -, plutôt que trancher. Une aversion pour la coupure qui dirige également leur lien, puisque la première image, inspirée par l’expérience personnelle de la réalisatrice, présente les deux femmes, les jambes frileusement glissées sous la nappe de leur table brasero, endormies dans un canapé rouge comme l’intérieur d’un ventre.


Tout l’enjeu de ce premier long-métrage se tiendra dans la peinture de ce lien duel : jusque quand offre-t-il une protection nécessaire à la cicatrisation ? quand enferme-t-il ?
quand s’ouvre-t-il pour libérer ? quand porte-t-il l’envol ? quand s’ouvre-t-il pour accueillir et recueillir, permettre que se restaurent les forces ? quand est-il foyer de vie ? quand est-il foyer de mort, force centripète qui ne peut que brûler ses propres radeaux ?...


La réalisation est portée par l’interprétation des deux femmes qui se font face ou se mêlent : Lola Dueñas, déjà vue chez Almodovar, ici en mère attentive et meurtrie mais en laquelle la vie fourmille encore ; et la prometteuse Anna Castillo, à la fois fine et ronde comme une jolie pomme, sachant jouer aussi bien l’équilibre épanoui et tendrement façonné que le bouleversement et la mise à bas de toutes ses assurances.


Aucune scène d’extérieur. Pour dire la force de ce mini huis-clos familial, de ce repli post-traumatique sur la chaleur de l’intérieur, la caméra de Santiago Racaj découpe l’appartement familial en plans savamment construits, multipliant les surcadrages qui permettent d’œiller la vie de l’autre par un regard verticalisé en meurtrière.


En partie inspiré par le texte de Xavier de Maistre, « Voyage autour de ma chambre », ce « Voyage autour de la chambre d’une mère » ( d’après le titre original « Viaje alrededor del cuarto de una madre ») ose le pari d’un voyage immobile. Le déplacement dans l’espace, conduisant jusqu’à Londres, sera bien vain et n’aboutira qu’à un enfouissement un peu plus profond dans le passé de l’appartement. Un appartement qui, à lui seul, vaudra mieux que tous les vaisseaux, et permettra peut-être les abordages les plus heureux.

AnneSchneider
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le 27 sept. 2019

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Anne Schneider

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