Qu’attendre d’une comédie française avec Virginie Efira en executive woman au bord de la crise de nerf ? À peu près rien, reconnaissons-le. Tout au plus peut-on, craindre une Bridget Jones hexagonale, dans laquelle Lacoste, la nouvelle coqueluche frenchie, assumera le rôle du lover outsider.
Pourtant, même si l’on limite Victoria à sa portée comique, le film est déjà une réussite. Non content de révéler un panel de comédiens d’exception, au premier rang de l’Efira susmentionnée, il brille par l’écriture de ses dialogues et l’authenticité des échanges. Drôle dans les caractères qu’il dépeint, le récit sait aussi ménager de belles embardées qui frôlent l’absurde, notamment par le rôle de premier plan joué par un dalmatien.
Mais Victoria ne cache pas d’autres ambitions : portait contemporain de la femme moderne, il se déploie sur plusieurs tableaux : mère larguée, avocate surbookée, (grande sœur de sa consœur Demoustier dans A trois, on y va) femme au désir en berne, l’héroïne 2016 est aussi mal en point que sur un front permanent qui la rend aveugle à tout ce qu’elle voit passer. De ce point de vue, le film peut se poser comme la génération post Woody Allen : on parle, beaucoup, au psy ou à la voyante, aux clients ou aux baby-sitters, sans que la parole soit jamais véritablement efficiente.
Tout est de l’ordre de l’esquive, sans pour autant que la réalisatrice en fasse la condamnation frontale : c’est la frénésie du rythme moderne qui semble l’imposer. C’est d’ailleurs l’une des qualités du film que de ne jamais poser un regard moralisateur sur cette foire aux vanités : la langue anglaise pour épargner les enfants, à peu près inexistants, est aussi risible que l’autofiction pratiquée par un ex en quête de gloriole littéraire ; pourtant, la tendresse l’emporte souvent sur le sarcasme, en témoigne la très belle séquence de sommaire sur les 6 mois de mise à pied de l’avocate, contrainte pour une fois à vivre en famille.
Sur cette étude de mœurs, la juste distance est avant tout servie par un montage d’un grande finesse : l’alternance entre les différents intervenants dans la vie trop remplie de Victoria se fait avec pertinence et fluidité, pour converger vers un pré-final traumatique tout à fait efficace en matière de dramaturgie : en quelques minutes, les hommes défilent, du psychopathe au garde du corps en passant par l’amant silencieux et l’ex envahissant, tissant un réseaux de nœuds qui souvent se règlent dans les prétoires.
Certes, l’enjeu final reste une comédie romantique relativement convenue, et le rôle dévolu à Lacoste perd un peu de son mordant lorsqu’il retrouve des rails qu’on aurait préféré éviter. Mais cela n’occulte en rien la fraîcheur et la pertinence du portrait proposé : Victoria, en osmose avec son héroïne, est un film qui sait ménager la folie comme l’hébétude, et inviter à contempler, entre deux crises, ce qui reste d’essentiel et d’invisible : le silence, et les vertus de plus en plus méconnues de la gentillesse.