Ce serait évidemment une erreur que de réduire ce film à son principal argument de vente, à savoir qu’il est constitué d’un unique plan séquence de deux heures et quart. Si l’on s’en tenait à cette seule dimension technique, on le saluerait comme un chef d’œuvre. Car la prouesse est réelle, et on a beau vouloir se concentrer sur ses autres qualités (et défauts, bien entendu), le mouvement continu de sa narration ininterrompue constitue un élément inévitable, qui alimente la tension qu’un récit assez pauvre, convenons-en, veut générer.
Victoria fait partie de ces films qu’on devrait voir sans rien en savoir, pour l’apprécier à sa juste valeur et sans s’accrocher à sa clinquante déclaration d’intention. La première séquence, floue avant une mise au point progressive sur la protagoniste fonctionne sur le même principe que celle qui ouvrait Le fils de Saul : elle exhibe clairement son dispositif, et cette déclaration un peu frimeuse peut éblouir autant que rendre prudent quant à sa capacité à se transformer en cache-misère.
La première partie sait pourtant allier avec talent forme et fond : ce poursuite continue dans une after de jeunes écervelés épouse à merveille leur errance dilettante, et le trajet à vélo flirte un moment avec la poésie mélancolique d’Oslo, 31 aout. Le rapprochement des deux protagonistes, sur le mode rom com, est lui aussi plutôt convaincant dans son authenticité et par l’audace avec laquelle il s’empare du temps réel : instant suspendu, durée sacrée dans la nuit, il rapproche les êtres rendus complices par cette faille temporelle.
Mais cela ne suffit pas à Sebastien Schipper, qui avoue d’autres ambitions : quitte à faire un film, autant tout y mettre, et la première fait en réalité office d’introduction à un thriller sur le mode Braquo ou 24 heures. Bien entendu, son parti pris technique est en cohérence avec un tel traitement, modifiant le rythme pour lui donner des allures de course folle, en voiture, sous les balles ou dans le sang. Le fait d’avoir fait intimement connaissance avec les personnages donne d’ailleurs un certain crédit à leur chute, même s’il faut s’armer d’une grande tolérance pour accepter la stupidité de chacun de leur choix. On pourra mettre ça sur le compte de la drogue qu’il consomme, et qui elle-même influera sur la frénésie du film, avec un retour dans la boite initiale qui donne une illusion de victoire assez intéressante, parce qu’on la sait bien entendu éphémère.
La bêtise de la jeunesse et les conduites ordaliques n’excusent cependant pas tout. Alors qu’on était embarqués depuis le début, et que tout le principe du film consiste à faire tenir ce filon d’une ligne étirée à l’excès, les grossières ficelles accrochées à la rescousse brisent l’illusion initiale. Le braquage en hors champ est une idée intéressante, mais la course mortelle sur le mode des amants criminels à la fois poussive et lassante, multipliant les traquenards et les méthodes à l’américaine pour s’en sortir.
La prouesse reste entière : comme devant un spectacle live ou un numéro de cirque, la tension de la performance infuse clairement le projet, ce qui était moins le cas dans un autre film en un unique plan-séquence, Ana Arabia. Elle ne suffit pas à ce qu’on s’aveugle devant ses manquements et ses facilités, mais nourrit une expérience méritante.
(6.5/10)