Autant qu'un film sur le viol, ce film est un film sur la cruauté de la nature humaine. A une époque où le sujet difficile du viol n'avait pas fait l'objet de tellement de films, la crainte que l'on pouvait avoir avec ce Ville sans pitié est qu'il traite son sujet de trop loin, car malgré la coproduction avec l'Allemagne et la Suisse, les Etats-Unis restent impliqués à une époque où le Code Hays est encore en vigueur.
Et en effet, c'est un film de son temps. Bien que le viol soit passible de peine de mort pour les 4 accusés, nous n'en sommes pas encore à l'époque du film français L'amour violé où enfin on entend un autre son de cloche. Où la victime se rebiffe, où le fait d'avoir été soi-disant "aguiché" par la tenue n'est pas une excuse... Ici, le fait que Karine la jeune victime ait été nue au bord d'une rivière, même sans d'abord savoir que ses agresseurs étaient là et bien qu'ayant appelé à l'aide, pourrait être une preuve à décharge pour les accusés.
Le film n'est jamais complaisant avec cette idée, tout est mis en évidence pour nous le dire, dès les premiers instants on nous montre que les agresseurs eux-mêmes savent que ce qu'ils font est terrible et ce qu'ils encourent... mais les mœurs de l'époque, même en Allemagne à une époque assez libérée sur la nudité, pèsent lourd. Le film touche juste avec la victime qui a honte, tout est bon pour exposer la mesquinerie et le besoin de voyeurisme des gens du village où s'est passé le viol de cette jeune fille. Les différences culturelles entre les USA et l'Allemagne constituent d'ailleurs un des intérêts de ce film, je l'ai vu en VOST, je ne suis pas persuadé que la VF (si elle existe) ait pu rendre cela aussi bien.
Il faut tout de même noter que Karine est finalement un personnage secondaire dans cette histoire, racontée principalement du point de vue de l'avocat de la défense, avec en voix-off les régulières interventions d'une journaliste allemande pour son article. Et Kirk Douglas a accepté là un rôle risqué : Il est régulièrement difficile d'être du côté de son personnage, qui cherche la vérité... en un sens. Surtout qui arrangera au mieux les affaires des accusés, et doit parfois utiliser des méthodes écœurantes pour parvenir à ses fins. Même lorsqu'il semble se soucier de la victime et de sa famille, et donc ne pas être dénué de tout sens moral, la question se pose sur son intérêt à sembler compatir. Le film reste ambigu jusqu'à en partie lever le voile sur la fin.
Si je devais donner quelques défauts, il y aurait un rebondissement à la fin qui m'a semblé évident (mais c'est très personnel et j'ai vu plus évident dans d'autres films, je pense que tout le monde ne le verra pas venir), le personnage un peu grossièrement caractérisé de Trude, le fait qu'à part la famille et le petit ami de Karine PERSONNE ne semble être de son côté dans le village, et... et bien, quiconque connaitra le Code Hays n'aura aucun suspense concernant le verdict.
Ça reste un film au message important. Simplement, il traite autant (sinon plus) des dilemmes moraux d'un homme que des souffrances d'une jeune fille. Les balbutiements d'un thème qui sera certes traité de manière plus forte et plus frontale dans de futures œuvres, mais ne perdons pas de vue qu'on est en 1961. Même ayant vu plusieurs de ces films, celui-ci reste fort et m'a tout de même interpellé.