Ce film est un très beau reclaim de l'esprit beauf. Beauf is the new cool !

Jolie "épanadiplose", la scène de début et la scène de fin sont deux streap-teases qui se répondent. Dans "Vingt dieu" on ne s'embarasse pas de pudeur. La joie d'être nu.e, de transgresser la coutume, de faire mouiller ou bander est vécue telle quelle. Pas besoin de couper les cheveux en quatre pour expliquer pourquoi c'est plaisant. "Nul ne sait ce que peut un corps". Tout au long du film les corps s'acharnent, chaque personnage développe un savoir-faire fascinant à voir émerger (visser une pompe, faire du fromage, accoucher une vache, construire une voiture...). La petite fille qui explique à son grand-frère comment l'éduquer est touchante, sans qu'on tombe jamais dans le pathos larmoyant devant l'enfant laissée pour compte. Le pathos de façon générale est absent du film. Même l'enterrement est filmé très brutalement, comme une scène à faire mais sur laquelle on ne s'attarde pas. Ou plutôt si, ce dont on se préoccupe ce sont les cordes utilisées pour la mise en bière du cercueil, sciant les poignets des jeunes qui les manient maladroitement. Et là encore, le geste est montré pour lui-même. On n'a pas besoin de pathos pour nous aider à formuler une critique sociale devant ce film : on nous montre à la fois que le personnage principal n'a pas le choix de s'engager dans la voie agricole (ce qui ressort d'une absence de politique sociale), mais aussi que ce qu'il vit a de la valeur en soi.


"J'ai une de ces envies de travailler, comme on peut avoir soif par un jour de chaleur" dit Irina, dans les Trois sœurs de Tchékhov. Marie-Lise ne dit pas autre chose à Totone, quand il lui dit qu'il est une merde, et qu'elle lui répond d'arrêter de chouiner et de se sortir les doigts du cul - de toute façon quand on parle dans ce film, c'est qu'on a quelque chose à dire. Le bonheur est dans le travail. Il n'y a rien de pire que l'oisiveté pour nous. C'est ce que j'en retiens.

Je plains la classe oisive, qui s'en met plein les poches avec des bullshit jobs qui ne produisent rien, ou tellement peu.

Surtout, je plains la bourgeoisie citadine d'être au coeur de la production de la norme, et de ne pas vivre avec la même liberté de corps.


L'éducation sexuelle du personnage est elle aussi touchante. Au début ses gestes font peur (est-ce qu'il y a encore des gens qui font l'amour comme ça aujourd'hui ?), mais peu à peu il trouve son plaisir dans le plaisir qu'il donne à ses partenaires...comme quoi beauf ne rime plus avec macho.

La direction d'acteurs aussi est incroyable, personne n'articule mais tout ça renvoie une impression de grande authenticité.


J'ai donc trouvé ce premier film franchement magistral. La seule chose qui m'embête est le manque de rythme du film, auquel on pallie par des musiques extra-diégétiques (mais la BO écrite pour le film est sympa, avec beaucoup de polyphonies, ce qui fait écho à la façon dont les personnages se serrent les coudes). Les plans sont aussi souvent très rapprochés, on a "la tête dans le guidon", ça donne certes un rapport à la matière du travail, mais peut-être que de jolis plans pourraient être tirés d'un plan fixe pris avec du recul.

Chapeau bas !

estherhaberland
8
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le 18 déc. 2024

Critique lue 27 fois

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