Une pastorale très honnête, entre récit d'initiation, teen movie et drame familial. Le regard de la réalisatrice, plein d'amour pour ses personnages (sa région natale) parvient à toucher sans pathos et sans grandiloquence.

Ce film exalte l'énergie vitale d'une jeunesse en quête de sens, projetée bon gré mal gré dans la vie d'adulte et les responsabilités qui l'accompagnent.

La réalisatrice fait le choix judicieux de se concentrer sur le parcours des adolescents, une ruée vers l'or perdue d'avance qui substitue à l'épique, un naturalisme candide confrontant les beautés d'une "tendre insouciance" à l'apreté du travail rural. Cette opposition se manifeste notamment dans l'idylle de "Totonne" et Marie-Lise tantôt les quatre fers en l'air dans le foin, tantôt brouillés pour une histoire de vol de lait ... La séquence finale marque pourtant la victoire des sentiments et de l'entraide gaillarde qui les unissent. Louise Courvoisier nous prouve que ce n'est pas tant la destination que le voyage qui compte, fait des petites victoires de chacun, de celles qui forgent des caractères.

Dès le départ, le rêve apparaît comme trop grand, et le deuil trop insurmontable pour de si jeunes épaules : la cuve à fromage est trop vieille, les jeunes trop pauvres ... Nous tenons là un regard d'une grande finesse sur le poids des déterminismes sociaux qui condamnent les personnages mais transcendent des valeurs fortes (empathie, altruisme, résilience ...).

Derrière cette quête grotesque du "fromage d'or" transparaissent une énergie incroyable, et la sincérité de liens construits dans l'adversité. Les personnages négocient sans cesse leurs rapports au monde (échange du kart et du tracteur, initiation à la fabrique du fromage, vol du lait) sans aucune marge de manoeuvre, sans plan pré établi, avec la seule vigueur de la jeunesse qui met inévitablement les chairs à vif. La première scène dans laquelle Totonne se dénude entièrement, joue sur le sens du rite initiatique : derrière l'exhibition puérile d'un ado insouciant se niche la vulnérabilité et toute l'honnêteté qui feront la beauté de ce parcours. De même que son impuissance sur le plan sexuel n’est pas rédhibitoire, elle devient l’occasion d’explorer un autre type de plaisir. L’essentiel ne se trouve pas dans la conquête épique ni dans la pénétration « classique » mais dans les chemins de traverse qu’elles font emprunter, les contours qu’elles forment.

Enfin, tout bavardage dégoulinant est mis de côté pour une approche taiseuse et contemplative (de très belles lumières sur un Jura magnifié), celle d'une résilience subie et silencieuse transformée en volonté d'agir à corps perdu vers un avenir plus lumineux. Peut être que Corvoisier nous invite aussi à réfléchir sur le deuil, celui dont on ne parle pas mais que l'on porte. Celui dont on ne peut pas parler, accablé par le poids écrasant de nouvelles responsabilités (devenir une nouvelle figure cardinale pour sa sœur). "Totonne" semble devoir se métamorphoser, changer de peau à chaque séquence : père, employé précaire, fromager freelance, amant sincère ... Le film devient le lieu de petites renaissances boiteuses mais magnifiques, un cheminement dont la beauté est saisie de l'intérieur, dont la fin n'est qu'une étape d'un parcours semé d'embuches.

La performance des acteurs amateurs est également à souligner, l'on ressent une véritable alchimie à l'écran, et le regard tendre et délicat d'une réalisatrice témoin de son milieu mais surtout d'elle-même.

Martin_cch
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le 16 janv. 2025

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Martin_cch

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