Voilà, j'ai envie de dire que "Virgin Suicides" est une merveille absolue de sensibilité, de grâce et de mystère, et c'est tout… Un film qui réussit à raconter l'indicible, sans en passer par la psychologie ou la sociologie, si réductrices, si rassurantes. Un film qui évite totalement le pathos inhérent à son sujet - le suicide des adolescents. Sofia Coppola, pour son coup d'essai, transformait le teenage-movie (genre américain s'il en est…) en un rêve pastel, à la fois calme et effrayant, où l'on voit à l’œuvre l'oppression feutrée que l'Amérique blanche, croyante et puritaine, exerçait (exerce ?) sur de jeunes pousses blondes qui n'avaient pourtant rien demandé. On sait en contemplant cette adolescence parfaite et incandescente qu'elle est condamnée à l'éphémère, et cette évidence est d'autant plus poignante qu'elle est comme filmée d'outre-tombe : cette bande-son ouatée avec la superbe musique de Air, ces couleurs passés et ces détails tamisés par la mémoire, cette voix off pour une fois magnifiquement indispensable, offrant une narration nostalgique, mais distanciée... "Virgin Suicides" raconte l'horreur comme s'il s'agissait d'un conte de fées, et quand tout est fini, Sofia Coppola a encore l'audace de filmer notre propre indifférence d'adultes : les spores verdâtres ont beau nous obliger à porter des masques à gaz, la vie continue. Et il y aura toujours un imbécile pour en rire. "Virgin Suicides" est un film qui enchante autant qu'il glace soudainement le sang. Quelqu'un a d'ailleurs dit que si le film nous paraît tellement réussi, c'est parce que celle qui filmait était déjà elle-même morte : il s'agissait de l'adolescente Sofia Coppola... [Critique écrite en 2000 et complétée en 2016]