L’odeur de la maison. Un mélange de sueur rance, de lait tourné, d’humidité étouffante. Le sol colle un peu sous les pieds. Quelque chose suinte des murs, une présence invisible, un secret trop longtemps gardé. Chez Miike, la famille n’est pas un cocon, c’est une chambre froide où l’on range les cadavres en espérant qu’ils ne bougent plus.
Et pourtant, ça bouge
Les corps s’entrechoquent, se pénètrent, se décomposent. On baise, on tabasse, on saigne, on rit. Les fluides se mélangent dans une orgie sans désir, une bacchanale molle où la jouissance n’est plus qu’un spasme nerveux, une secousse avant la paralysie.
Le père filme sa propre fille dans un motel. Une mère s’injecte de l’héroïne pour oublier qu’elle est devenue le punching-ball de son fils. Un étranger arrive. Il frappe, il observe, il ne dit rien. Et tout change.
La Maison et ses odeurs
On ne sait jamais vraiment où on est. L’espace est flou, mal cadré, filmé comme un documentaire d’un reporter trop fatigué pour ajuster la mise au point. Mais on ressent la maison. Elle pèse. Elle enferme. Elle n’a pas l’élégance gothique des grandes demeures maudites, ni l’austérité clinique des bunkers bourgeois du cinéma européen. Non, c’est un habitat-fantôme, un corps en décomposition où l’air est chargé d’une chaleur poisseuse.
Miike filme les textures. La peau en gros plan, les vêtements fripés, les taches qui ne partent plus. On pourrait presque toucher l’écran et sentir sous les doigts la graisse accumulée sur les murs, comme si la maison elle-même transpirait.
L’intrus
L’arrivée du visiteur, c’est le point de rupture. Mais pas une explosion soudaine. Juste une présence. Un regard. Un geste absurde : un coup de gourdin, sans explication.
Le choc, brutal, n’a pas de suite immédiate. Il ne déclenche pas une révolte, ni une vengeance. Il est accepté. Absorbé.
Dans n’importe quel autre film, ce type aurait une fonction : messager du chaos, ange exterminateur, force surnaturelle. Ici, il ne fait rien. Il ne guide pas, ne commente pas, ne manipule pas. Il regarde. Il se laisse regarder.
Comme si sa seule existence révélait ce qui se passait déjà, ce que personne ne voulait voir.
Lentement, la famille se recompose. Mais pas dans un sursaut de lucidité ou de pardon. Dans un glissement organique, une nouvelle logique du corps.
La Résurrection lactée
Et puis vient le lait.
Moment de grâce ou de dégoût, impossible à dire. La mère, enfin nourricière. Plus une esclave, plus un corps utilisé, mais une source.
Ses seins gonflés se vident, et tout change.
Miike ne filme pas cette scène comme une provocation, ni comme une moquerie. Il ne cherche pas le choc, il capte l’instant. Ce lait n’est pas un symbole, c’est une matière. Un fluide, une substance vivante, la seule chose pure qui subsiste.
Et dans ce chaos domestique, entre le sperme, le sang et la violence, c’est peut-être le seul véritable miracle.